Un jour, un oiseau

À chaque jour, son oiseau.

Plus que jamais notre humanité doit tendre vers la Merveille et veiller à la préciosité et à l’indiscutable nécessité de préserver ces êtres fragiles et gracieux que sont les oiseaux. 

♦ Le Héron cendré (Ardea cinerea)

Les oiseaux ont un rythme cardiaque en moyenne bien plus élevé que l’homme. Leurs pulsations peuvent varier de 40 à plus de 1200 battements par minute. Ces records ne doivent rien au hasard ; ils sont le fruit d’un long cheminement évolutif à la fois complexe et déroutant tendant vers un équilibre métabolique du corps de l’oiseau au regard des besoins physiologiques de l’espèce.

À l’observation, ces particularités cardiaques se manifestent par une intense fébrilité. À peine posé sur une branche et déjà l’oiseau est en partance.

Il existe pourtant des oiseaux qui révèle une singulière maîtrise de leur corps : c’est le cas notamment du Héron cendré. Cet ardéidé est passé maître dans l’art subtil et délicat de la fixité. Adepte du mouvement minimal, cet élégant suzerain des eaux lentes pratique, à un haut degré de perfection, le tao silencieux des oiseaux. Sur le podium de l’immobilité faite grâce, il occupe, sans conteste, la première marche.

Le non mouvement est un atout pour qui chasse à l’affût car n’y a -t-il pas pire danger que l’eau qui dort ? L’animal est un fameux chasseur qui sait attendre sa proie. Dressé sur ces pattes semblables à des roseaux, le corps se confondant avec la verticalité d’une tige de saule, le bec profilé comme la lance d’un picador, il examine le nageant et le rampant évoluant à ses pieds. Une créature s’annonce à son goût et voyez-le faire son office ; comme un ressort longtemps contraint, le cou du Héron se déploie, la tête plonge à l’eau, le long bec aussitôt barré de sa proie.

Avec ses tours imparables, Le Héron est l’ennemi redouté des poissons et du peuple des batraciens mais il est aussi la peste des propriétaires d’étangs et de piscicultures où ce fieffé emplumé se plait à la rapine.

Les couples ne se forment qu’à la période des amours. Ils vivent alors dans des héronnières, sorte de vastes nids semblables à des vigies positionnées sur les hauteurs des grands arbres à la proximité des eaux. Les femelles vivent en bande une bonne partie de l’année. Tout le contraire des mâles, qui n’ont pas le goût à la promiscuité. Vous n’aurez d’ailleurs aucune difficulté à les reconnaitre, ces mâles esseulés, sur les pâtures ou dans les champs, arborant fièrement leur tenue cendrée de soie lisse et leur tête surmontée d’une aigrette.

Au Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, le Héron passait pour être un mets délicieux, quasi royal. Dans la nomenclature des gibiers d’eaux servis aux grandes tablées des nobliaux de jadis, on le voit toujours en bonne place. Les Seigneurs protégeaient d’ailleurs jalousement les héronnières de leurs domaines. Philippe le Bon, duc de Bourgogne et de Brabant, paraît avoir éprouvé pour lui une considération particulière. La chose est étonnante car les chairs de l’oiseau ne sont guère savoureuses. Assurément, les préparations et les accommodements de l’animal n’ont malheureusement pas traversé les âges jusqu’à nous. Encore une belle perte pour notre patrimoine gastronomique !

♦ Le Rouge-gorge (Erithacus rubecula)

Il est le premier oiseau que les enfants reconnaissent. Campé sur ses deux pattes et gonflant somptueusement son poitrail rouge-orangé, le Rouge-gorge est le familier de nos campagnes, l’indissociable compagnon du jardinier.

À peine une quinzaine de grammes et une dizaine de centimètres de hauteur, cet oiseau est un frondeur, un véritable fier-à-bras du gazon. Rien ne lui échappe, il a le regard sur tout. Tout est vie et force en son aspect”, disait de lui le philosophe Alain Chartier.

À ses plumes lui sont collées quelques belles légendes qu’il me plait de partager ici. Une chrétienne d’abord, dans laquelle on raconte qu’il se serait brûlé en ravivant les braises du feu qui réchauffait l’enfant Jésus le jour de sa naissance dans son étable de Bethléem. La deuxième, chrétienne encore, nous conte qu’il se serait taché en soulageant de quelques épines la couronne qui martyrisait le front du Christ. Une autre, plus ancienne, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, raconte que le Rouge-gorge aurait volé jusqu’au soleil pour apporter le feu aux hommes avec les conséquences que l’on devine. Une dernière enfin ; frigorifié au cœur de l’hiver, l’oiseau aurait cherché un arbre pour s’abriter. Tous lui refusèrent l’hospitalité sauf le Houx. Se blottissant au coeur de son houppier, il s’y pique, c’était fatal. Une goutte de sang perla et colora son plastron ainsi que les fruits ronds de l’arbre.

À l’observation, le Rouge-gorge est un solitaire qui ne supporte guère ceux de sa propre espèce. Loin de lui le comportement fusionnel des moineaux ou la complicité fraternelle des mésanges, le Rouge-gorge semble souffrir de misanthropie. Ce trait de caractère est avant tout saisonnier ; à l’approche du printemps, les mâles se sentent pousser en eux des désirs de conquête et de territoires à explorer. La raison est simple : ils délimitent leurs espaces de nourriture et de gîtage pour leur descendance. Pour ce faire, ils font le vide autour d’eux. Dès lors, les chants sont des armes de distanciations sociales. Les mâles montrent leur couleur par tout un jeu de déplacements fluides et nerveux. Des trilles sonores se répandent aux quatre coins du potager. Les mâles gazouillent ici ou s’époumonent là. En hauteur de préférence, car le chant porte mieux et plus loin. Les belles sont en pâmoison. 

L’exercice dissuasif fonctionne, la plupart du temps. Les mâles se jaugent et gardent leurs distances. Les territoires se dessinent dans l’invisible.  Parfois, un téméraire se sent poussé de quelque fièvre conquérante (voilà ce qu’il en coûte à trop côtoyer les hommes) et s’enhardit à planter son drapeau sur un territoire voisin. Les mâles se font front et en viennent rapidement au bec. Les confrontations sont rarement tendres et les combats peuvent très vite tourner au pugilat. Pour évincer leur compatriote, les mâles se volent dans les plumes dans de violentes joutes. Les coups de bec pleuvent et le vainqueur peut harceler le vaincu jusqu’à lui crever les yeux et s’acharner sur sa dépouille. “Tout être aime et recherche son semblable”, disait encore le philosophe Alain. Cette formule doucereuse ne convient pas à notre oiseau.

Les femelles, quant à elles, sont plus discrètes, elles ont l’intelligence du sexe. Elles savent ce que coûte toute dépense d’énergie superflue au sortir de l’hiver. Parées des mêmes couleurs que les mâles, elles n’adoptent pas pour autant leur comportement. Elles travaillent plutôt en sous-main et leur discrétion est efficace. Elles assurent la nichée et veillent au renouvellement de l’espèce.

Nous avons l’impression de voir le Rouge-gorge en toute saison. C’est vrai, mais seulement en partie. Car si une majorité de ces oiseaux passe une bonne partie de l’année chez nous, certains d’entre eux nous viennent du nord en hiver, quand les températures deviennent insupportables dans leur région d’origine. On parle dans ce cas de “migration partielle”. Bénéficiant de températures plus agréables, les rouges-gorges du sud de l’Europe ou d’Afrique du nord ne se déplacent guère, à l’inverse des individus originaires de Scandinavie ou des pays baltes qui préfèrent descendre vers des territoires plus tempérés quand s’abattent sur eux les premiers frimas.

La durée de vie d’un Rouge-gorge est très brève ; un à trois ans tout au plus. Sur une nichée, la plupart des oisillons ne verront pas leur premier printemps. Le taux de mortalité chez ces passereaux est particulièrement élevé. Les raisons sont nombreuses et vous connaissez l’une d’entre elle, la plus fameuse ; elle siège peut-être sur vos genoux au moment où vous lisez ces lignes ; le chat. 85 % des disparitions de Rouge-gorge leur est imputable.

Il n’y a pas grand chose à faire contre un chat qui vous ramène un oiseau agonisant. Le gronder ne vous servira pas à grand chose et votre compagnon à quatre pattes n’y comprendrait rien. Il fait là son travail de chat, ni plus ni moins. Des solutions existent pourtant comme ces “stops-minous”, sorte de ceintures hérissées de piquants dissuasifs en vente dans les boutiques naturalistes et que l’on place aux abords des nids. Vous pouvez aussi lui mettre une collerette bariolée autour du cou (les oiseaux sont sensibles aux couleurs vives) ou encore lui poser un grelot au collier, de façon à ce qu’il soit entendu au moindre mouvement.

Le chat le plus meurtrier de l’histoire fut certainement celui du gardien du phare de l’île Stephens, au large de la Nouvelle-Zélande. Sur cette île vivaient de petits oiseaux uniques au monde, les Xéniques de Stephens. Non habitués aux prédateurs, ils n’étaient pas craintifs. Le chat du gardien les croqua les uns après les autres, jusqu’au dernier et extermina ainsi l’espèce  en quelques années à peine. Le grand public apprit l’existence de l’oiseau en même temps que sa disparition.


♦ La Buse variable ( Buteo buteo)

La Buse variable appartient à la grande famille des Accipitridés qui ne compte pas moins de 260 membres au dernier recensement. Son qualificatif de “variable”, la Buse le doit à la surprenante palette de couleurs de son plumage. Un éventail de coloris qui peut passer d’un blanc immaculé à un brun foncé piqueté de reflets rougeâtres. Jamais une buse ne ressemble à sa parentèle, ainsi en a décidé Dame Nature. Ce particularisme pigmentaire nous fait parfois hésiter quant à son identification. Il faut alors juger la bête à sa façon de se poster en affût à la manière d’un moine méditant ou, en vol, à son allure seigneuriale, tête faisant front aux vents, ailes aux extrémités légèrement recourbées.

Buse variable - Priels Werner

L’oiseau se plait en tout milieu mais il affectionne principalement l’environnement forestier. C’est le profil paysager qui détermine son choix d’installation. La Buse marque sa préférence pour les zones dégagées, la proximité des lisières et le voisinage des coupe-feux. Ces espaces ouverts lui offrent bien des avantages mais surtout une vision claire de son territoire de chasse. En ces milieux de rases terres pullule son met favori ; le campagnol des champs dont le rapace raffole des chairs.

L’oiseau se plait en tout milieu mais il affectionne principalement l’environnement forestier. C’est le profil paysager qui détermine son choix d’installation. La Buse marque sa préférence pour les zones dégagées, la proximité des lisières et le voisinage des coupe-feux. Ces espaces ouverts lui offrent bien des avantages mais surtout une vision claire de son territoire de chasse. En ces milieux de rases terres pullule son met favori ; le campagnol des champs dont le rapace raffole des chairs.

Pourvue de cinq fois plus de cellules oculaires que l’homme, rien ne surprend la Buse de ce qui frétille sous son aire. Bien qu’elle ait ses préférences, son régime alimentaire reste large et varié ; micromammifères, reptiles, amphibiens voire insectes à l’occasion. Tout est bon au bec et au ventre. Cet oiseau ne fait guère le difficile ; en hiver, contrainte parfois par les circonstances ou les aléas de la météo, la Buse peut se rabattre sur quelques charognes, celles de lapins ou de pigeons ramiers. Oui, ce rapace est aussi un opportuniste et fait à la fortune du pot.

La Buse variable est une espèce qui se porte plutôt bien sous nos latitudes avec un nombre d’individus en croissance régulière depuis une vingtaine d’années. C’est la conséquence d’un réel engagement collectif à sa préservation et de mesures de protection qui mirent l’animal à l’abri des carnages. Autrefois chassée, elle connut des effectifs effroyablement bas notamment dans les années 70 en Flandre où on ne compta plus qu’une dizaine de couples nicheurs à peine sur tout le territoire. Ce rapace est un véritable baromètre de la santé des champs et de sa microfaune. Le calcul est assez simple ; plus il y a de buses, plus la population des rongeurs se porte bien. N’est-ce pas là un indicateur de la qualité sanitaire des cultures ? On aimerait le croire.

L’oiseau siège à la cour des prédateurs. On ne peut lui souhaiter position plus enviable. Cependant, la Buse n’en demeure pas moins sujette à la vindicte du peuple des volants. Dans le ciel, au printemps surtout, il n’est pas rare de la voir poursuivie par l’une ou l’autre Corneille, qui agissent comme des mouches du coche à son encontre. Ce comportement hargneux des corvidés tient du fait que ces oiseaux-là ne voient pas d’un bon oeil la présence du rapace sur leurs aires de nidification car la Buse n’hésite pas à dévorer les nichées en recherche de protéines pour le bien de sa propre progéniture. Ce seigneur s’est octroyé droit de préemption sur le vivant et il tient à l’exercer. Dans la Nature, de quelque côté que l’on se trouve, tout est toujours question de dévoration pour le juste maintien des équilibres.

Dans ses “Récits de l’oncle Paul sur les animaux utiles à l’agriculture”, le poète naturaliste Jean-Henri Fabre nous assure de la douce soumission de l’animal. Cette affirmation met en défaut l’expression “triple buse”. Une formule populaire qui parle encore à quelques-uns d’entre nous. Elle était la préférée de mon instituteur qui se plaisait à nous la servir, à mes camarades et à moi, lorsque nous manquions un exercice ou quand nos esprits n’étaient plus enclin au calcul algébrique. Cette locution de “triple buse”, la linguiste, Henriette Walter, la fait remonter au Moyen Age à l’époque faste de la fauconnerie où, disait-on, il était impossible de domestiquer la Buse tant elle était retors au dressage. On disait l’animal “bête et borné”. Une vraie sauvage, en somme. Alors de là à l’être triplement ! Cette expression a de quoi me réjouir, moi qui m’ensauvage de plus en plus avec les ans. Quitte un jour à ressusciter dans le corps d’un oiseau autant que cela soit dans celui d’une Buse qui portera toujours, en ses gênes, la noblesse de ne pas se soumettre à l’esprit étriqué des hommes.

Buse variable - Pascal Deruyver

Photo de Pascal Deruyver


♦ La Chouette hulotte ( Strix aluco)

Photo – Laurent Malbrecq Chouette hulotte -

Mon père avait la passion des chouettes. Non de chair et de plumes mais bien reproduites en petites figurines de céramique qu’il conservait sur une des étagères du salon. La plupart d’entre elles, il les avait reçues en cadeau et elles trônaient par dizaines se coudoyant des ailes, prêtes pour une hypothétique photo de famille. Jamais un tel rassemblement de rapaces ne fut plus silencieux. Je ne sais ce qui poussait mon père à les collectionner. Peut-être ces oiseaux lui rappelaient les chouettes des contes merveilleux que des maîtres d’après-guerre, pétris de cultures grecque et latine, lui narraient. Peut-être avait-il été séduit , sur les anciennes estampes, par le regard de la chouette chevêche, l’emblème de la déesse Athéna, la guerrière au casque d’or?

Pour les premiers Grecs, la chevêche était le symbole de la connaissance et de la sagesse. Rien de moins. Ses yeux laissent entrevoir toute sa pré-science et sa capacité à cerner les mondes visibles et invisibles. De petite taille, à peine une vingtaine de centimètres, la chevêche d’Athéna se plait au verger où elle communie avec les vieux troncs couverts de mousses. Elle y fait sa couche et pond de 3 à 4 oeufs qui éclosent après 28 jours d’incubation. 

Mais s’il est une chouette qui nous est plus familière encore, c’est la Hulotte, aussi appelée “Chat-Huant” car son cri est celui du chat qui feule dans la nuit, disait Bufon. À l’inverse de la Chevêche, la Hulotte a une vie plus sylvestre et un peu moins prairiale. Présente dès les premiers temps des âges sur le continent européen, elle occupe ses vastes forêts profondes et denses qui s’étalaient du nord des Alpes jusqu’à la Baltique. La Hulotte s’amourache des belles fûtaies et loge dans ses arbres creux. Dans la grande sylve chevelue qui domine l’immensité européenne, son cri lâché au temps des conquêtes romaines, terrorisa les plus braves des légionnaires de César. L’oiseau aux yeux profonds, noirs comme des pierres d’obsidienne, parle aux Mânes à une époque où la forêt est un foyer d’animistes échevelés vivant leur symbiose avec le Grand Dehors.

Le monde d’après, celui qui verra se dresser les cathédrales sur l’Europe, fera disparaître la selva oscura mettant fin à une ère où les dieux dansaient avec les hommes autour des arbres séculaires. Le christianisme fera table rase des vieilles croyances. La Hulotte, compagne des faunes et des sorcières, est clouée aux portes des granges et les humains qui les idolâtraient, brûlés sur les bûchers.

Au XVIIIe siècle, il eut une illumination des esprits ; ce fut le siècle des Lumières. On troqua le dieu céleste pour un dieu Progrès. Mais ce ne fut pas pour autant la fin du grand massacre des campagnes. Si les femmes et les hommes  furent un peu moins mis au bûcher, on martyrisa toujours autant les bêtes de la nuit. Les vieilles croyances ont la peau dure.

Les rapaces nocturnes ont toujours payé un lourd tribut à nos délires suprémacistes de la biosphère. La Hulotte, comme l’Effraie, sa cousine des clochers, payèrent le prix fort. Elles faillirent disparaître.

La chouette est pourtant une inoffensive, faut-il le rappeler. Elle rend au paysan et au jardinier bien des services. Sa présence leur est salutaire car elle régule le peuple grouillant de la nuit et refreine les ravages des rongeurs au potager comme aux champs.

Alors que lui reproche-ton finalement ? Peut-être de tutoyer les crépuscules et de se draper de silence ? Ce volatile iconoclaste siège aux antipodes de nos pratiques d’hominidés modernes, dopés que nous sommes aux lumières permanentes et shootés à la trépidation incessante des villes. Le mystère de la Hulotte nous confronte. Elle nous renvoie à notre incapacité à fréquenter nos ombres. Les pieds ancrés dans la glaise, le chemin est encore loin vers la sagesse. Nous qui ne brillons que d’ignorance.

Ce soir, au coeur de la forêt que je traverse seul, je suis l’escarpement étroit d’un sentier qui gravillonne vers la vallée. La nuit, la forêt dévoile une tout autre cartographie beaucoup plus exigeante à emprunter. Sur la piste qui rejoint la rivière, je réapprends à marcher ; mes pas sont lents, comptés. Mon coeur pulse à chaque respiration. L’obscurité révèle des odeurs de brume feuillue. La nuit surprend des craquements de bêtes empressées en quête du repas. Les esprits font leur travail souterrain. L’obscurité n’est pas une veille, c’est encore de la vie. Les remugles mycéliens foisonnent de messages subtils que les hommes mettront 10 000 ans à décoder. Soudain, sur ma droite, la Hulotte lâche son cri et, plus loin, une autre lui répond. Un dialogue s’installe dont j’ignore le sens.

Elles me perçoivent, j’en suis sûr, et par ma présence, je deviens le témoin indiscret de leur conciliabule. Il faut être humble face au mystère qui vibre et accepter son hermétisme. Voilà ma simple joie d’entendre la Hulotte. Elle me rappelle sans cesse que nous n’aurons pas prise sur tout et que le mystère imprègne encore le monde.


♦ Le Martinet noir (Apus apus)

Martinet noir - Christophe Verriest
Photo – Christophe Verriest

Se coursant l’un l’autre, papillonnant follement leurs longues ailes noires tendues comme des arcs, les Martinets slaloment de vertige et d’allégresse entre les maisons de la Place. Par la fenêtre donnant sur la rue, je les vois qui s’offrent des jeux de courses sans fin avec les Hirondelles, leurs cousines des airs.

Les Martinets noirs ont l’avantage de la vélocité et de la hardiesse avec leurs accélérations subites et brutales qu’aucun autre oiseau ne pourrait égaler. À fendre les airs, ils n’ont pas leurs pareils. Ces seigneurs célestes sont de la race des intouchables et je les admire pour leur incroyable agilité à peinturlurer le ciel de leur indéniable légèreté.

La Place s’est animée vers les 19H. Il se prépare un concours dont je ne sais l’enjeu. Les Martinets se sont donné le mot ; ils trissent d’un concert effroyable qui éclate sur les façades et sur les toits. Un ballet inquiétant prend forme, animé d’un sens, d’une rotation réfléchie. Cela dure près de dix minutes. Jamais ils ne s’arrêteront, jamais ils ne poseront – ne fût-ce qu’une fraction de seconde – leurs corps étroits et fuselés aux rebords des corniches. À pleins poumons – et quels poumons ! – ils s’engouffrent dans les rues pavées, frôlent les façades brunies de poussières, chatouillent les pointes vertes des Charmes, font frissonner les cornes des cheminées. Ils glissent sur les toits et c’est prodigieux.

Les Hirondelles qui se sont jointes au tournoi abandonnent déjà la partie, une fois de plus. Le Martinet est le roi. Aucun concurrent ne viendra le détrôner à ce jeu-là. Comme mus par un élan commun, ils font corps en se suivant sans se coller, se poursuivent sans se perdre de vue. S’excitant l’un l’autre à des pointes de vitesse époustouflantes, aiguisant leurs forces à cette concurrence dure et âpre. Ils tournent, tourbillonnent, relancent encore leurs corps pliés comme des faux, toujours plus vite, dans un rythme soutenu et dans une espèce d’euphorie grisante.

Je tente d’immortaliser l’instant qui se dégage de cette scène mais ma caméra ne retient que de brefs traits noirs sur l’écran. Cela va trop vite. Ils sont vingt, dix, cent, plus encore ? La vitesse les démultiplie outrageusement rendant tout comptage impossible.

Puis, brusquement, comme c’est arrivé quelques minutes plus tôt, ils disparaissent. Les Hirondelles se retrouvent seules et reprennent petit à petit possession des lieux. La Place reprend une douce tranquillité.

Où sont-ils à présent ces formidables ailerons noirs ? Ont-ils touché les cieux ? On dit que le Martinet peut s’élever à plus de 2000 mètres d’altitude pour ensuite se laisser descendre en planant. On dit beaucoup de choses de cet oiseau merveilleux et si peu terrestre finalement. D’éminents savants ont calculé que le Martinet passait près de neuf mois par an dans les airs sans jamais toucher terre. Se nourrissant d’insectes happés en vol, buvant l’eau aux nuages ou à fleur de points d’eau, dormant en plein ciel. Ne se posant au final que pour nicher. Même leurs passions amoureuses sont aériennes.

Les amoureux de la vitesse devraient avoir cet oiseau comme emblème. On devrait édifier des statues à la gloire de ce héros des cieux qui jamais vraiment ne sieste plus de quelques minutes par jour.

Je ne sais ce qui m’émeut le plus chez cet oiseau. Est-ce sa perpétuelle énergie ? Son courage à affronter les tracas du temps sans jamais se lasser ? Son agilité déconcertante ? Ou simplement sa trop brève destinée ? Car le statut exceptionnel de cette espèce a ses revers ; il faut toujours payer un tribut à la grande faucheuse quand on est pourvu de trop de dons. L’oiseau est une comète et ne nous côtoie que pour un bref instant. Peut-être le Martinet insuffle-t-il dans nos quotidiens une part d’incroyable légèreté. Peut-être nous apprend-il, l’espace d’un court instant, à faire fi de nos pesanteurs d’hominidés et tendre la tête vers les cieux ?

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Photo Francis Stehlin

Leur inaccessibilité font d’eux des demi-dieux qui biberonnent aux mamelles des orages, boivent aux étoiles et banquettent à la table des dieux où nous n’avons plus place. Ils sont d’une autre dimension. Telles des stars, toujours plus inaccessibles aux enfants avides de modèles que nous sommes.

De la fenêtre où je me suis installé pour assister à cette rencontre incroyable, Le Martinet a disparu comme il arrivé, dans un éclair de beauté, rejoignant peut-être là-haut, tout là-haut, le magnifique destin des êtres libres et sereins.

Le 24 juin 2020

F.M.


engoulevent - hans verdaat

Photo – Hans Verdaat

♦ L’Engoulevent d’Europe ( Caprimulgus europaeus)

Le photographe avait actionné sa torche électrique au coeur de la nuit sylvestre. Sur un carré sablonneux, à un pas de côté du chemin qui s’embroussaillait de genêts et de callunes, il avait jeté sa tente d’affût pour s’y coucher de tout son long, coudes contre terre. La lumière artificielle violait le crépuscule et révélait, comme en plein jour, les gestes empressés du professionnel. Son appareil photographique qu’il tenait fermement d’une main, était pointé telle une arme de gros calibre vers les houppiers. La lampe qu’il avait fixée sur un pied, s’attaquait à la lisière des pins sylvestres. Excités par les photons, des insectes s’égaillaient en tous sens en chapelets hasardeux.

Immobile et silencieux, glissé dans l’ombre de la nuit naissante, j’avais deviné ce que cet homme cherchait avec une telle frénésie ; il était venu immortaliser l’Engoulevent qui avait été signalé là quelques jours plus tôt.

Une semaine auparavant, j’avais reçu un message d’une amie ornithophile. En une phrase pleine de joie et d’excitation, elle m’annonçait la présence de l’oiseau dans un bois, derrière chez moi. La nuit même, j’étais allé voir, jumelles en bandoulière et petit enregistreur vocal dans la poche. Avec des ruses de Sioux, m’arrêtant tous les dix pas, les oreilles à l’écoute du moindre froissement annonciateur de quelque présence, j’avais gagné l’endroit précis où l’oiseau avait été aperçu. La forêt faisait là une trouée née d’une coupe rase qui se propageait aujourd’hui en une lande sèche végétative. Plusieurs hectares de Bourdaines, de jeunes Bouleaux et de Cerisiers tardifs s’épandaient sur un lit clair d’écorces de pins. La coupe qui avait eu lieu à cet endroit, trois années plus tôt, avait réveillé des graines en dormance libérant, par bouquets épars, une végétation acidophile sur un sol podzolique couleur de cendres.

Mon amie m’avait prié de garder le secret car l’Engoulevent en Brabant wallon est extrêmement rare. Mais en arrivant sur les lieux, un trio d’observateurs était déjà en planque. Ils scrutaient le ciel à la jumelle. J’avais gardé mes distances et m’étais posté à une centaine de mètres d’eux, m’enfonçant un peu dans les taillis. Un râle avait percé alors. Une espèce de frottement continu, puissant, ininterrompu. L’envoûtement de l’Engoulevent avait commencé.

Ce nom d’oiseau devait certainement plaire à Rabelais. Dans la langue médiévale, le verbe “engouler” signifie “avaler goulûment” comme l’aurait fait Gargantua. Le nom latin du volatile nous conte une toute autre histoire, fausse celle-là. Le terme “Caprimulgus” de capra “chèvre” associé au verbe « mulgere », « traire” reportent l’oiseau à la croyance qui disait qu’autrefois les anciens croyaient dur comme fer qu’il trayait les chèvres à la nuit tombante. Peut-être nos aïeuls avaient-ils surpris ces oiseaux couchés dans le pâturage des bêtes, un biotope qu’ils apprécient particulièrement.

La vibration pénétrante de son chant avait repris après une courte interruption. Dans un ciel bleuté couleur de nuit, je voyais l’Engoulevent voleter d’une aire à l’autre et, par moments, par de remarquables cabrioles aériennes, il saisissait en plein vol les phalènes et les hannetons d’un claquement de bec. L’oiseau n’ouvrant la gueule qu’à la dernière fraction de seconde, sûr de sa prise.

L’Engoulevent fait son nid à terre où il dort une grande partie de la journée, dissimulé par un plumage qui le rend quasiment invisible. Dans la fraîcheur du tapis végétal, il dépose un lacis clair de branches mortes qui accueillera deux oeufs à la forme oblongue, tachés de brun et mouchetés de gris. Deux nichées à peine sur les trois mois de la présence de ce migrateur sous nos latitudes. Une présence fragile et trop souvent mise à mal par l’inconscience et l’ignorance des hommes.

Sous sa tente éclairée comme un plein jour, en contraste total avec la nuit qui luttait autour de lui, le photographe semblait viser les reposoirs possibles de l’oiseau sur les hautes branches des pins. Peut-être cherchait-il aussi, avec son faisceau lumineux, à attirer insectes et papillons pour appâter l’oiseau.

Je n’ai pas le goût pour ce genre d’approche, même si les intentions sont louables. L’empiétement des espaces naturels peut prendre des allures diverses et mettent à mal les fragiles équilibres. La vie nocturne de la forêt était bouleversée par cette énergie disharmonieuse qui lacérait la nuit d’une lumière crue. Savait-il ce photographe qu’à quelques mètres à peine de là il se tenait, une nichée de chouettes hulottes avait cours ? C’était le temps où les juvéniles pépient leur mère par des poussées de cris aigus et secs. Ce soir-là, le silence des rapaces nocturnes n’annonçait rien de bon.

Autrefois, les peuplades anciennes gardaient le secret des présences rares et sacrées que la nature offrait. Ces peuplades avaient leurs raisons. Elles préservaient ainsi le vivant de la rapacité des hommes en protégeant ainsi les délicats équilibres cosmiques. Les peuples premiers pratiquaient une co-habitation que nous avons tant de mal à respecter. Dans nos débordements d’Homo sapiens, nous agissons encore trop souvent en colonisateurs. Tout ne nous est pourtant pas dû. La nature sauvage se doit d’être préservée et respectée. “Un homme, ça s’empêche”, disait Camus. Se refréner sera certainement le plus gros travail de l’humanité à venir pour que chaque espèce puisse vivre en paix sur cette terre toujours plus peuplée.

Les temps changent, les bouleversements climatiques que nous vivons perturbent les écosystèmes. C’est une vérité que nous percevons dès à présent dans nos quotidiens. Les pessières et la hêtraie de Haute et Moyenne Belgique risquent fort de disparaître d’ici 20 ans. D’autres essences prendront le relais. La Nature trouve toujours des solutions. Entre ces deux grandes étapes d’évolution de la forêt wallonne, il se peut bien que notre Engoulevent trouve de nouveaux espaces de nidification dans nos régions. C’est heureux pour eux et pour bon nombre d’entre nous. Gageons que les mordus de chants crépusculaires auront aussi à coeur de respecter la forêt et tous les êtres qui l’occupent.

Le 20 juin 2020

F.M.

L’Engoulevent en littérature

Morceau choisi

On ne sait rien de l’envoûtement musical en archet frotté sur la même corde , tant qu’on n’a pas écouté, et longuement, l’engoulevent à la nuit tombée de juin. C’est un chant en un trrrrr !… bas, continu, soutenu, qui vous épouse toutes les galeries et les méandres intérieurs du corps, jusqu’à ensorceler le creux intime et secret en lequel nous recevons le monde comme en un miroir concave.

Durant le jour, l’engoulevent se tient immobile, couché au sol, gîté à terre, en parfait camouflage de feuilles mortes par le privilège d’une livrée d’un brun-gris roussâtre, finement pointillé et strié de noir de part en part. Les pattes sont on ne peut plus courtes, pour ainsi dire existantes, mais répondant au peu de goût qu’il a de pérégriner ou de se mettre en course à la période des amours. En revanche, les ailes sont longues, en faucille, et la queue tout aussi longue, en justes proportions. Les yeux sont énormes pour y voir dans la nuit, la bouche démesurée à la Mick Jagger. Il chasse à bec ouvert, avale le vent, capture surtout le papillon de nuit, son mets de prédilection, par la grâce d’un vol particulièrement souple et virevoltant.

Quand survient pour lui la période des amours, il n’entend pas broncher , ni même beaucoup se déplacer. C’est par le frottement d’ailes, soutenu, bien sonore et sans ambiguïté – comme on se frotte les mains en perspective d’une bonne affaire – qu’il attire une compagne. L’accouplement est au sol sans trop de manières, mais avant et après le rituel amoureux, ils se plaisent à deux à décrire dans les airs les figures de leur vol hasardeux.

Extrait de Amours en vol, Jean-Pierre Otte

Le Loriot - Wim Deloddere
Photo – Wim Deloddere

♦ Le Loriot d’Europe ( Oriolus oriolus)

Quel indécrottable cachottier que cet oiseau-là, qui se moque joyeusement de nos piètres capacités de bipèdes à discerner leur lumineuse présence à travers le feuillage des arbres. Et ce n’est pas faute de mettre tout en oeuvre pour se faire repérer ; peinturluré d’or du croupion au bec, avec quelques traits noirs charbonneux aux ailes et aux yeux, le Loriot est une pépite insaisissable cachée dans le secret de la canopée. 

Son chant, reconnaissable entre tous, est un langoureux sifflement roulé et doux qui coule comme un été aux somptueux présages. Malgré tous ces atours, qui sont autant d’indices semés dans le miroitement des branches, le Loriot reste un mystère que le hasard ou la chance peuvent seul nous faire rencontrer.

Étrangeté exotique des hautes futaies, ce “Merle d’or” (le Goldamstel, comme se plaisent à l’appeler les Allemands) est un migrateur qui ne trouve son plaisir qu’en se glissant dans la mer des feuillages, à la cime des grands arbres.

C’est lui que nous avions entendu cet après-midi de mai au Marais d’Harchies à deux pas de la frontière française. Le site est un océan de merveilles de basses eaux aux confins du Tournaisis. Couvrant plus de 500 hectares de terres humides et de nappes stagnantes, le marais est une terre d’exil pour l’avifaune. Ce paradis pour oiseaux, on le doit en grande partie à l’activité minière qui connut autrefois ses heures de fièvre industrieuse sur ces terres pelées et venteuses conjuguées au bassin de l’Escaut. Les multiples carottages et la gangrène des galeries minières avaient exacerbé la nappe aquifère qui s’était alors libérée entraînant de nombreux affaissements de terres. L’eau s’était alors engouffrée, vengeresse, sur les étendues de surface en accaparant les multiples dépressions du relief. Face à la Nature pleine et puissante, les hommes, ces orpailleurs d’anthracite, avaient été chassés vers d’autres Eldorados miniers. Dans les années 80, une intelligence influente, quelque part dans un ministère, trouva bon de faire du site un parc naturel. Il fut écouté et soutenu par les premières associations de défense de la Nature. Le Parc naissait alors pour le plus grand bien des règnes animal et végétal enfin apaisés et satisfaits du marchandage des hommes. Ce bout de terre au bout du monde où se rejoignent l’argile fangeuse et le partage des eaux mêlées de ciel, semble trouver là de voluptueuses accordailles. La Nature a tracé son sillon. Aujourd’hui, le site est étonnant, riche de biodiversité et de quiétude sauvage, alternant canaux, plans d’eau et marécages.

Sur le chemin que nous foulions, la chaleur du mois de mai avait fait déborder les ombelles des Sureaux qui ployaient leurs branches sur le bord des eaux d’un vert de tourbe. Les rives des marais et les roselières délivraient des brassées de graminées qui dansaient dans les bourrasques. Une folle sarabande dressée qui jaunissait déjà sous les assauts d’un soleil cuisant. De hauts peupliers rendaient une douce musique sous les caresses du vent. L’air était chaud et sentait les fenaisons. De grands Cormorans, ces apatrides du grand large, égarés à l’intérieur des terres, s’étiraient en faisant sécher leurs plumes noires et huileuses sous le regard indifférent des mouettes alignées comme à la parade sur un tronc pustuleux à moitié immergé.

Nous nous étions arrêtés pour l’observation à la longue-vue. Devant nous, deux hérons cendrés et une aigrette, les pattes plongées dans la vase d’une eau poissonneuse, s’adonnaient à une gymnastique fixiste. Le chant du Loriot, flûté et clair, avait soudain jaillit d’une échancrure de Merisiers à une trentaine de mètres de notre poste d’affût.

L’oiseau d’or ne nous arrive que vers le mois de mai de son exil africain. Il est parmi les derniers oiseaux migrateurs à nous revenir. Il sait se faire attendre comme le font les artistes les plus convoités. On dit souvent qu’il ramène avec lui les premières chaleurs et annonce le temps des cerises. Dans les arbres aux troncs lacérés, les griottes rosissaient à peine. Le Loriot allait devoir encore patienter avant de gueuletonner ces fruits dont il raffole inconsidérément les chairs qui, dit-on, lui colorent de jaune ses plumes. 

Le naturaliste Georges-Louis Leclerc, plus connu sous le nom de Buffon, dont on fêtera le 7 septembre prochain le 313e anniversaire, voyait dans l’oiseau la rapacité de l’étourneau capable de dévorer en un jour (et à lui seul) un cerisier bien garni.

Dans son catalogue des oiseaux, vaste oeuvre comportant treize pièces au piano, le compositeur français, Olivier Messiaen, consacre une place particulière au Loriot. Le nom de cet oiseau, cher à son coeur, puisqu’il était aussi le nom de sa compagne et collaboratrice, Yvonne Loriod, pour laquelle il dédia une grand part de son oeuvre musicale.

Passant de la ligne des arbres aux plans d’eau, jouant à cache cache avec une végétation sournoise et dense, nous avions cherché vainement à l’apercevoir. Nous fûmes quittes à l’entendre s’éloigner en quête de quelques complicités amoureuses ou cherchant, dans les frondaisons, quelques gros insectes à saisir.

De retour à la voiture, après une balade qui nous avait plongés au coeur des babillages et des stridulations joyeuses du peuple des marais, dans la chaleur du jour qui n’en finissait pas, nous nous surprîmes, ma compagne et moi, à siffloter le chant du Loriot.

F.M.

Le 18  juin 2020

Le Loriot en littérature

Morceau choisi 

Il a attendu, lui, que les arbres se couvrent de feuilles, car c’est sous leur ombre qu’il vit ; l’éclatante splendeur de son plumage l’oblige à se cacher. Pourtant dès son arrivée, on sait qu’il est là. Ce matin, à l’aube, son chant a retenti en haut du grand chêne. Ce ne sont que quelques notes liquides, mais qui, inexplicablement, allègent l’air, ouvrent l’espace à l’infini, libèrent la joie irrépressible de cet autre monde auquel confusément nous aspirons. Et soudain, il est là parmi nous. 

Le Loriot , l’oriol, l’oiseau d’or du paradis, on ne le voit presque jamais, mais on l’entend , son chant résonne de loin en loin. Et chaque fois, je sursaute. 

Quand donc l’ai-je entendu pour la première fois ? Probablement dans le jardin de Nogent, quand j’avais huit ans. C’est qu’en ce moment il me restitue, c’est l’état d’enfance, enfoui au plus profond, qu’il réveille, qu’il ressuscite, car, en vérité, tout passera sauf lui.

Extrait de « Le Bonheur-du-jour », Jacques Brosse. 


Pic épeiche - Hugues Caryn
Photo – Hugues Caryn

♦ Le Pic épeiche ( Dendrocopos major)

J’avais entendu leurs pépiements en montant vers la ferme du Sartage. L’endroit était idéal pour un affût d’observation ; une large clairière à la croisée de deux sentiers forestiers bordés de grands arbres auréolés de leur verdure printanière.

De part et d’autre du chemin que j’empruntais, quelques charmes aux troncs cannelés et des chênes centenaires bruissaient dans le jaillissement ocre du soir. Derrière la ligne des feuillus, le bois s’enrésinait de pins sylvestres.

J’aurais pu passer à côté s’en m’en rendre compte si je n’avais prêté l’oreille dans la montée aux murmures des oiseaux. Le pépiement des jeunes Pics épeiches est reconnaissable surtout à l’approche de leurs premières sorties. On ne peut les ignorer tant le tintamarre accapare la forêt. Une sorte de jacassement sans retenue qui descend des frondaisons. En scrutant l’alignement des troncs, à plus de trois mètres de hauteur, j’avais repéré un trou noir sur le tronc d’un frêne à une vingtaine de mètres de moi. Un trou rond comme une bouche d’enfant, la possible entrée d’un nid. Tôt ou tard, un parent allait se présenter et les cris redoubleraient de plus belle. Ce fut le cas après quelques minutes d’attente ; un mâle, distinct de la femelle par la tache rouge à l’occipital, se colla au trou de vol, agrippé au flanc granuleux de l’arbre, tendant le cou vers les profondeurs de la loge, il nourrissait la portée.

Pour celui qui s’initie à l’observation des oiseaux, voir un pic nourrir ses oisillons est un régal accessible à peu de frais. Le comportement de nidification de cette espèce nous facilite la tâche par le fait que les Pics épeiches creusent leur loge au départ du tronc sur une surface dégagée de branches afin de rendre plus aisée l’approche au vol mais aussi pour ne laisser aucune chance aux prédateurs.

Du haut de son repaire, dominant le danger, le Pic ne s’est pas formalisé de ma présence. En observateur attentif et respectueux, j’ai préservé une distance d’une vingtaine de mètres avec le sauvage. Inutile d’occasionner un stress supplémentaire à l’animal en cette période de nourrissage. Observer la nichée d’un Pic, c’est accepter une part de mystère ; si les parents alternent leur visite, les oisillons restent quasiment invisibles, tapis au fond de la loge qui s’encorne au-dedans de l’arbre jusqu’au coeur de l’aubier. De ce nid douillet aux fortes odeurs de tanins, les oisillons ne sortiront qu’une fois aptes aux premiers vols sous la canopée.

Le Pic épeiche est un intime des arbres et j’avoue leur jalouser cette complicité sylvestre. Il y a du Thoreau dans cet oiseau-là qui, au fil des millénaires, s’est construit sa cabane dans les arbres et y passe le plus le clair de sa vie. Un oiseau qui a conservé la reliance avec la verticalité ligneuse. D’ailleurs, elle est bien plus qu’une reliance, nous le verrons plus loin. 

Physiologiquement parlant, tout dans le Pic montre son attachement au tronc, à l’écorce et aux ramifications des hautes futaies. Ses pattes d’abord, semblables à des serres puissantes qui lui permettent par le jeu des doigts opposés de saisir l’écorce et le liège des arbres. Ensuite les plumes de sa queue, des rectrices renforcées dix fois plus solides et plus durables que celles des autres oiseaux et qui agissent comme un véritable pied d’ancrage.

Plus étonnant encore, le Pic est un véritable musicien percussionniste. Il a le sens du rythme et de la vibration. Il ne chante pas, il tambourine du printemps à l’automne. Il a le goût des conversations anciennes, celles d’avant la parole. Le martèlement pour lui est un chant alors il communique par des coups de têtes qui sont autant de signaux, de codes, de phrasés énigmatiques qu’il transmet au sous-bois.

Mâle et femelle poinçonnent le bois de leur bec pointu comme une dague. Dès janvier, la forêt est le théâtre de leurs joutes acoustiques qui annoncent le temps des amours. Voyez-les choisir leur arbre et l’endroit précis du tronc qui leur servira de caisse de résonance. Les Pics ont le coup d’oeil pour dénicher le point précis où l’arbre sonnera creux. Des chocs brefs, répétés et rapides de 15 à 20 coups par seconde. Une vitesse d’impact sidérante : au moment du contact avec le bois, le bec de l’oiseau passe en quelques millièmes de secondes de 25 km/h à 0 km/h, soit une décélération de 1000 g, (mille fois la force de gravité ressentie sur Terre). À titre de comparaison, une navette spatiale au décollage subit une accélération de 3 g et, pour un humain, rester en vie au-delà de 50 g tient du miracle. Le Pic surprend tous les scientifiques en tambourinant à 1 000 g, près de 12 000 fois par jour.

L’inventaire anatomique des picidés permet d’entrevoir les prouesses géniales de l’évolution. Pour effectuer son tambourinage sans s’endommager le corps et l’esprit, le Pic épeiche est doté d’une ossature capable d’absorber les chocs les plus violents. Ajouté à cette particularité morphologique, ce volatile est doté d’une mandibule inférieure plus courte que l’autre ce qui rend l’absorption encore plus performante car elle répartit uniformément l’onde de choc sur l’ensemble des cartilages. Plus surprenant encore, la langue de l’animal ; un muscle formidable qui se déroule comme celle d’un Tamanoir et qui prend racine entre ses deux yeux. Cette langue qui peut s’élancer à plus de dix centimètres au dehors de la boite crânienne, agit comme une ceinture de sécurité autour du cerveau et préserve aussi une partie des chocs. On remarquera qu’à son extrémité, elle est couverte de microscopiques crochets qui lui permettent de s’emparer du moindre vermisseau rampant au creux d’une écorce.

Enfin, et c’est, à mes yeux, la plus belle part de son univers, le Pic est en interrelation constante avec son biotope. Sur ce point, de nombreuses études ont été menées mais l’observation patiente et attentive de l’animal est tout autant concluante ; les Pics s’inscrivent dans l’architecture remarquable de l’équilibre forestier. Parce qu’ils ont l’intelligence de ne s’attaquer qu’aux arbres fragilisés ou malades, le Pic concourt à la saine transmutation de la masse carbonée que sont les arbres. Et ils ne travaillent pas seuls ; les alliances s’opèrent au coeur du sylvestre. En martelant l’arbre, le Pic initie le mouvement par une première percée dans laquelle s’insinueront micro-organismes et champignons lignicoles.

On croit souvent que le Pic est tout à fait capable à lui seul de se tailler sa loge. À vrai dire, il laisse le Vivant faire et, après avoir amorcé un trou, il laissera l’humidité, les champignons et les éléments pathogènes faire leur travail de décomposition de la lignine et de la cellulose avec patience et détermination. C’est surtout la pourriture blanche qui digérera la cellulose rendant ainsi le bois tendre comme du beurre. La vie appelle la vie et les champignons draineront avec eux une quantité importante d’insectes comme les coléoptères qui se frayeront leur place à travers l’écorce. Cela tombe à point, le Pic en est friand.

Le Pic ne travaille pas que pour lui ; il bâtit aussi pour d’autres. Mais en est-il conscient ? N’ayant généralement qu’une nichée par an, il cédera sa place à d’autres oiseaux cavernicoles de la forêt qui pourront bénéficier d’un logement pour les saisons prochaines. Une loge accueillera Mésanges, Sittelles, Gobemouches, Chauve-souris mais aussi la Chouette hulotte, les Pigeons ramiers, le Loir gris ou les Écureuils.

Ces arbres à pics deviennent, avec le temps, de véritables hôtels de biodiversité. L’agent forestier le sait et c’est pour cela que ces temples de vie sont marqués sur leur tronc d’un triangle jaune scellant l’intérêt écologique à préserver. Mité, perclus de trous et chancelant, l’arbre continuera à offrir le gîte et le couvert au peuple de la forêt. Pour cela, remercions le Pic.

F.M.

Le 4 juin 2020


♦ Le Coucou gris ( Cuculus canorus)

Coucou - René Dumoulin
Photo – René Dumoulin

Assis sur la berge pelée du vieux canal, nous l’avions entendu pousser son cou-cou de la rive opposée, probablement perché sur la branche haute d’un peuplier planté à la limite de la roselière. Un soleil de fin d’après-midi lâchait des éclaboussures d’argent à la surface des eaux calmes parcellées d’algues.

À maints endroits, la vase affleurait, formant des gisants de boue lisses comme le dos d’une carpe. En face de nous, le chemin de halage égrenait, à intervalles réguliers, des passants tout heureux de prendre l’air dans les tiédeurs du soir. Le Coucou était là, l’appel de son chant ne trompait pas. Nous l’avions reconnu aux premières notes. Invisible à nos yeux, l’oiseau profitait du contre-jour et, régulièrement, nous saluait en scandant sa mélodie dissyllabique au rythme maîtrisé.

Entendre le coucou est chose aisée mais le voir chanter, c’est une toute autre aventure. Juché sur une hauteur, les ailes tombantes le long de son corps taillé en fuseau, la gorge gonflée de désirs et d’attente, le Coucou est un discret paradeur qui attire ses belles avec des roucoulades et des jeux de courbettes.

Chantant de l’aube à la nuit tombante, le mâle cherche avant tout des épousailles d’un soir. C’est là tout son plaisir. Cette passion fugace agit comme une fièvre qui s’éteint une fois l’accouplement consommé. Le reste, le mâle le délègue à la femelle et à-Dieu-va. Mais la couvaison, le nourrissage et l’éducation des oisillons ne sont pas non plus le fort de cette dernière. Ce sont des tâches bien ingrates et énergivores. De tout cela, elle en fait bonne grâce à d’autres oiseaux. Dans cet esprit, à quoi bon alors construire un nid, si l’oeuf trouve sa place dans le nid d’un autre ? Alors, ni vu ni connu, l’oiselle s’en va pondre dans la couche d’un passereau. La mère Coucou est-elle pour autant une femelle indigne ? Laissons là ces jugements d’homme. Il faut voir la chose autrement ; accorder à d’autres le soin de la pérennité de sa propre espèce, c’est faire fichtrement confiance à la Vie.

Le « parasitisme de couvée » est un stratagème qui marche une fois sur deux car les oiseaux savent le danger que le voisinage du Coucou implique. La plupart ne sont pas dupes. Ils abandonnent parfois leur nichée au moindre signal ou lorsqu’ils se rendent compte du subterfuge. Mais dans la plupart des cas, l’instinct maternel est plus fort même s’il faut en payer le prix car accepter le Coucou chez soi, c’est dire adieu à sa propre couvée. Après une dizaine de jours, à peine éclos, le jeune intrus encore aveugle et nu, pousse ses frères et soeurs « encoquillés » par-dessus le nid. Aucun oeuf ne sera épargné. Très vite, et au fur et à mesure des becquées, le clandestin, pansu et gras, déborde du nid qui l’accueille. Le filou est un gourmand qui accapare à lui seul les victuailles que ses parents adoptifs peinent à trouver. Une fois en âge de prendre son envol, le Coucou rejoindra les siens pour les grands départs en migration vers les lointaines terres d’Afrique.

Pour Linné, qui ne manqua pas d’humour dans sa classification savante du Vivant, le Coucou fait partie de l’espèce cuculus elle-même liée au genre cuculidé de la famille des cuculiformes. Le terme “cuculus” est d’ailleurs à prendre dans son sens péjoratif, qu’on pourrait traduire par “niais, imbécile, fainéant”. Dans le français du Moyen Âge, on perçoit dans les formes « kuku » et « coquehu », l’influence probable de “huer” et de “coq”. Deux termes qui aboutissent finalement à « cocu », “trompé” d’où le rapprochement souvent fait entre “coucou” et “cocu”. Cette évolution sémantique, propre au français, n’est pas d’une logique imparable, bien au contraire, car, de toute évidence, le coucou serait plutôt trompeur que trompé.

On notera, pour la défense de cet animal, que le Coucou gris est rigoureusement insectivore et qu’il a la passion dévorante des chenilles velues, véritable calvaire dans le sud de la France en été. L’estomac de l’oiseau, tapissé d’une “fourrure” formée par les soies urticantes qui viennent se ficher sur sa paroi est d’une efficacité redoutable. Un oiseau qui pourrait être une solution au drame qui se joue dans certaines régions de Drôme et de Provence face aux assauts dévastateurs des chenilles processionnaires. 

F.M.

Le 25 mai 2020

Le Coucou en littérature

Morceau choisi

Un petit vous taisez, dames ! C’est grand merveille

D’ouïr ces oiselets, le zizi, le lulu,

La jangle du bouvreuil, le caquet résolu

Du gaillard pinsonnet qui me perce l’oreille

La grive et le moqueux entonnent un canon,

Tandis que va mêlant ses deux notes dolentes

Aux roulements lointains des tourtes roucoulantes

Le coucou qui ne sait que redire son nom

Mais déjà je n’ois plus, si ce n’est par bouffées,

Le jacque jargonner ni hennir le poulain,

Tant aigre est le babil de ces chèvres coiffées

Bavardes comme horloge et claquet moulin.

Extrait de « Chants d’oiseaux », André Mary, Gallimard poésie. 


♦ Le Chardonneret élégant (Carduelis carduelis)

le chardonneret - Jo de Pauw
Photo – Jo de Pauw

La Madonna del Cardellino est une oeuvre de jeunesse du peintre Raphaël. Le tableau, qui date de 1506 a probablement été réalisé à Florence pour le compte de Lorenzo Nasi, un riche marchand de tissu. Au centre de la toile, on distingue le petit Saint-Jean serrant dans le creux de sa main potelée un Chardonneret que cajole l’enfant Jésus.

Les deux bambins sont sous le regard bienveillant de Marie qui trône sur un rocher. Le portrait est touchant de grâce. En arrière-plan, une nature apaisée se dessine traversée par les eaux d’un fleuve – serait-ce l’Arno ? Le Chardonneret a été représenté à maintes reprises dans l’art pictural. L’ornithologue américain Herbert Friedmann a répertorié quatre-cent-quatre-vingt-six oeuvres qui présentent l’oiseau dans la peinture italienne de la Renaissance du XIVe à la fin du XVIe siècle. Un succès dû au symbole que l’oiseau représente : la passion christique. La légende raconte que pris de compassion devant les souffrances de Jésus cheminant vers le lieu de son supplice, un chardonneret se mit en devoir de retirer une à une les épines de sa couronne. Le sang avait jailli et avait aussitôt couvert le visage de l’oiseau marqué à jamais.

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La Madonna del Cardellino – Raphaël

On retrouve notre Chardonneret dans le triptyque hallucinant de Jérôme Bosch, Le Jardin des Délices, datant de 1503. Dans la partie centrale du tableau , une procession de volatiles aux proportions démesurées s’achemine cahin caha vers un lac de baies et de fruits rouges où baignent Adam et Ève. En tête du cortège, un Chardonneret triomphant se fait guide de cette troupe hétéroclite et plumée sortie de l’imagination sidérante d’un peintre hors norme.

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Le Jardin des délices (détail) – Jérôme Bosch

Plus tard encore, vers 1654, c’est autour du peintre hollandais, Carel Fabritius, élève de Rembrandt, de mettre cet oiseau à l’avant-scène. Sa composition, une huile sur panneau d’à peine 33 cm sur 23, est certainement la plus émouvante qui nous a été laissée d’un Chardonneret. Ce dernier, unique sujet du motif, nous laisse comme un goût étrange en bouche ; loin de la naïveté ou de l’exubérance des oeuvres précédentes, son auteur parvient à nous toucher en nous montrant toute la détresse de l’animal enchaîné. Son oeil, comme luisant d’une larme, interroge notre passivité complice. 

Le Chardonneret - Carel Fabritius
Le Chardonneret – Carel Fabritius

À travers ces oeuvres, les peintres nous questionnent sur le rapport de l’homme à l’oiseau. Au-delà des codes, des modes, des convenances picturales et des cultures (religieuses ou non), nous ne lisons que le long chemin de croix d’un animal contraint, prisonnier de son charme et de sa beauté sauvage.  

Pour que l’oiseau retrouve toute sa pleine liberté, picturalement parlant, il faut aller voir du côté de l’oeuvre originale et atypique d’Anna Maria Sybilla Merian. Un femme, enfin. Cette artiste qui vécut au XVIIIe croqua la nature en naturaliste ; sans religiosité et sans emphase. Plutôt spécialisée dans la représentation imagée des insectes – espèces méprisées autrefois tant le rampant était considéré comme vil et sournois, elle croqua toutefois quelques passereaux dont on garde la trace. Le trait manque parfois de rigueur mais il démontre la volonté de nous révéler l’oiseau sans entraves, loin de l’asservissement des hommes.

Le Chardonneret - Maria Sibylla Merian
Le Chardonneret – Maria Sybilla Merian

Dans son milieu naturel, le chardonneret affectionne tout particulièrement les espaces ouverts, arborés et buissonneux. Son biotope répond à deux exigences : la présence d’arbustes élevés et une strate herbacée riche en graines diverses. Pour que l’espèce puisse subsister, l’habitat importe grandement. Si les lois européennes protègent ce fringillidé et son environnement, les pays méditerranéens sont quant à eux confrontés à une pression urbanistique et à un braconnage qui mettent à mal la survivance de cette espèce si commune autrefois dans ces régions.

Le drame qui touche le Chardonneret est semblable au drame qui se joue en tout temps et en tout lieu sur la Beauté. Victime fragile et innocente de la grande dévoration sans scrupule, individualiste et vaniteuse des hommes. 

Jean-Claude Carrière dans son recueil Le Cercle des Menteurs nous souffle une possible solution pour ces êtres prisonniers des volières. Ce remède, il faudrait le renseigner aux oiseaux. Il pourrait mettre un terme définitif à leur enfermement. Je vous le confie ici. Au temps du roi Salomon, un riche marchand possédait un Chardonneret doté d’un chant exceptionnel. Dans sa cage, l’oiseau ne manquait de rien et chantait, des heures durant pour l’émerveillement du voisinage. Un jour, alors que la cage avait été transportée sur un balcon, un oiseau s’approcha, échangea avec le chardonneret et s’envola. Depuis, le volatile restait silencieux. Désespéré, l’homme l’amena chez le roi Salomon, qui connaissait le langage des oiseaux. L’oiseau dit a Salomon :

– Autrefois je ne connaissais ni chasseur, ni cage. Puis on me présenta un piège appétissant et j’y tombai, poussé par mon désir. L’oiseleur m’emporta, me vendit au marché, loin de ma famille, et je me retrouvai dans la cage de ce marchand. Je me lamentais jour et nuit, lamentations que cet homme prenait pour des chants de reconnaissance et de joie. Jusqu’au jour où un autre oiseau vint me dire : “Cesse donc de pleurer , car c’est à cause de tes gémissements qu’on te garde dans cette cage.” Alors je décidai de me taire. Après avoir traduit ces mots au marchand, ce dernier se demanda : “À quoi bon garder un Chardonneret , s’il ne chante pas ?” Et il lui rendit la liberté.

F.M.

Le 19 mai 2020

Photo : Jo de Pauw

Le Chardonneret en littérature

Morceau choisi

Ô joli chardonneret aux ailes jaunes aux joues rouges aux yeux noirs

Cela fait un bail et des années que tu es enfermé dans une cage

Attristé, tu chantes avec une voix si douce

Personne ne sait d’où surgit ton chant

Celui qui n’a pas subi de problème t’ignore

Et celui qui ne connaît pas ta valeur, ô oiseau, te cuit sur des braises,

Il n’aura pas de coeur tendre et il ne peut saisir les subtilités de ton chant,

Mais nous deux, on se comprend, ô joli chardonneret !

Ô joli chardonneret aux ailes jaunes aux joues rouges aux yeux noirs

Cela fait un bail et des années que tu es enfermé dans cette cage

Attristé, tu chantes avec une voix si douce

Personne ne sait d’où surgit ton chant

Une cage reste une cage même si c’est un beau palais qui attire les regards

À l’intérieur la gelée royale devient amère

La cage est obscure, elle rend aveugle et son étroitesse brise les ailes

Ni l’eau ni la nourriture ne sont bonnes, ô joli chardonneret !

Ô joli chardonneret aux ailes jaunes aux joues rouges aux yeux noirs

Cela fait un bail et des années que tu es enfermé dans cette cage

Attristé, tu chantes avec une voix si douce

Personne ne sait d’où surgit ton chant

Quand tu chantes tu te souviens des jours où tu étais libre

Battant des ailes dans l’air et nichant d’arbre en arbre

Le destin du bon Dieu a voulu que tu te fasses attraper par ces deux ailes

C’est une destinée écrite sur ton front, ô joli chardonneret

Ô joli chardonneret aux ailes jaunes aux joues rouges aux yeux noirs

Cela fait un bail et des années que tu es enfermé dans cette cage

Attristé, tu chantes avec une voix si douce

Personne ne sait d’où surgit ton chant

Ce qui est écrit par Dieu est destinée et nécessite de la patience

Le prophète Joseph a souffert tout autant que toi,

Que de souffrances et d’obstacles pendant des années

Il a tant pleuré qu’il en a perdu la vue.

Ya Maknine Ezzine (Ô joli chardonneret) – version chantée par Mohammed El Badji


♦ La Bergeronnette des ruisseaux (Motacilla cinerea)

Bergeronnette des ruisseaux - Johan Seys
Photo – Johan Seys

Ce printemps-là, je traversais le Diois à pieds et rejoignais les hauts-plateaux du Vercors. Tandis que le mois de mai fleurissait au balcon de la Provence, la Drôme peinait à quitter les froidures d’avril. Mais depuis quelques jours, le soleil avait fait son apparition sur la région et il réchauffait doucement les collines calcareuses plantées de pins noirs.

Lors d’une étape, j’avais fait halte le long de la Drôme dans une confluence de pâtures et de vergers. Le fleuve m’était apparu ample moutonnant des nuées bleues d’insectes. Comme un lasso fouettant l’air, des myriades d’Éphémères balayaient les eaux en des va-et-vient cinglants et frénétiques. Les noces printanières avaient commencé et j’étais invité aux terribles épousailles. Dans l’ombre des berges marneuses lacérées par l’érosion, une Bergeronnette des ruisseaux se délectait du banquet qui s’offrait à elle. Piétinant d’impatience le dos mouillé d’une pierre jetée au milieu de la rivière, agitée du tremblement perpétuel des Hoche-queues, elle lorgnait son repas gargantuesque qui gravitait à la surface des eaux. Soudain, n’y tenant plus, elle s’envola, rasa la rivière et d’un bond, claqua son bec sur des proies étourdies de soleil. Dans sa gueule d’oiseau s’accumulaient déjà des prises monstrueuses. La nichée devait attendre en quelque lieu inaccessible qu’on aurait pu deviner, là-bas, sous l’amoncellement des racines de Cytises et d’Érables negundo. La fin d’après-midi allait ample et assis au bord de l’eau, j’étais résolu à ne rien perdre de ses ballets aériens.

Campée sur de fines pattes roses, la Bergeronnette des ruisseaux a le ventre jaune pastel et le corps terminé d’une longue queue qu’elle agite sans cesse. Cette gestuelle qu’elle imprime dans son corps semble être une révérence secrète aux ondines et autres naïades couchées là, dans les mystères du fleuve. Ses salutations craintives et entêtées font qu’on la repère facilement dans le brouillard des eaux ou le désordre de la végétation ripisylve. C’est heureux car son chant (mais est-ce encore un chant ?) n’est que trop peu perceptible à l’oreille humaine.

La Bergeronnette ne peut être confondue à ses cousines ; la grise ou la printanière. Ce qui la caractérise avant tout, c’est son goût immodéré des eaux courantes dont elle ne s’éloigne guère. L’oiseau est enfant des rives et du courant, fille fière et indisciplinée des ruisseaux et des rivières. Cet oiseau aime plus que tout les berges (d’où il tire son nom). Nichant souvent en aplomb du courant, les oisillons sont nourris au bruissant murmure des eaux. Comme le Martin-pêcheur ou le Cingle plongeur, il lui faut l’animation vivifiante du torrent car les eaux stagnantes lui sont mortifères.

Contempler les oiseaux est un luxe, je ne le dirai jamais assez. Un luxe que nous avons reçu en partage, quelle que soit notre condition. Au-delà du sujet contemplé, c’est le regard que nous portons sur la préciosité de l’oiseau qui importe. Un rapport sensoriel en conscience qui ne sera jamais possession ou avilissement. Contempler, c’est faire entrer en nous, au plus profond de nos circulations intérieures, toute la vraie richesse de la Beauté du monde.

F.M.

Le 8 mai 2020

La Bergeronnette en littérature

Morceau choisi

Elle court autant qu’elle vole, et toujours dans nos jambes, familière, imprenable, elle nous défie, avec ses petits cris, de marcher sur sa queue. 

Extrait de “Histoires naturelles”, Jules Renard, Gallimard, 1984.


♦ La Pie bavarde (Pica pica)

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Dans la diversité foisonnante des êtres à plumes, force est de constater que tous les oiseaux ne procurent pas joie et félicité auprès de nos contemporains. Si l’on s’attendrit à la vue de l’hirondelle, d’une mésange à longue queue ou d’un roitelet, bon nombre d’entre nous grinçons des dents lorsqu’une Pie bavarde s’installe au jardin.

La Pie comme la Corneille ou encore le Freux font partie de ces mal-aimés de la gent ailée. Avec sa redingote tirée à quatre épingles, son bec noir affûté comme un poignard et son allure de cerf-volant, la Pie, oiseau reconnaissable au premier coup d’oeil, porte sur son dos sa charge de griefs et de vilenies. Mais pourquoi tant de haines ?

À chaque guidance, je récolte de pleines brassées de remarques désobligeantes à son égard. Dans le top cinq des qualificatifs qu’on lui attribue, le terme nuisible caracole en tête. Voilà un mot qu’il faudrait bannir de notre vocabulaire. Non, rien n’est nuisible dans la Nature : tout fait sens et tout rentre dans le cycle. Le prédaté et le prédateur (et c’est là encore des mots qu’il nous faudra revoir un jour) font partie intégrante de la grande orchestration du vivant où chacun a sa place et exerce un rôle précis. Il est vrai que nous peinons à comprendre le sens profond de cette partition qui nous apparaît souvent complexe et déroutante. L’observation longue, attentive et patiente de l’animal dans son biotope peut nous aider à en connaitre un peu plus et à percer les mystères d’une réalité sans cesse mouvante.

La Pie est un prédateur opportuniste, dit-on. C’est vrai, comme l’est d’ailleurs le Renard ou la Fouine. En clair, cela signifie que l’animal grappille ce qu’il y à grappiller. Une attitude propre aux êtres d’adaptation. En cela, nos modernités consuméristes offrent bien des attraits pour l’estomac de ces volatiles : poubelles débordantes et détritus épars sont autant de sources de nourriture que notre animal ne dédaigne pas. En agissant de la sorte, la Pie nous rend bon nombre de services. Elle nettoie nos routes des déchets et nous débarrasse des cadavres d’autres animaux, favorisant par là l’équilibre des écosystèmes et apportant une contribution importante à l’hygiène des espaces à forte concentration humaine.

Quand les restes font défaut, l‘oiseau se révèle être une aide précieuse pour le jardinier en le soulageant des organismes qui peuvent impacter les cultures comme les vers blancs, les larves de taupin, les coléoptères, les chenilles ou encore les limaces.

Il faut l’avouer, ce qui nous désespère surtout, c’est le goût qu’a cet oiseau pour la destruction des nids. Si l’oiseau s’attaque à ceux-ci, c’est avant tout dans le but de nourrir ses propres oisillons. Les Pies ne font rien par plaisir, elles agissent par nécessité. En dérobant oisillons et oeufs dans les nids des passereaux, elles assurent la survivance de leur propre portée. Fort heureusement, ces rapines sont modérées et limitées dans le temps car l’oiseau ne fait qu’une seule couvaison par an. Une régulation naturelle qui limite considérablement les dégâts.

Autre croyance qu’il nous faut abandonner : l’attirance légendaire qu’à la Pie pour le brillant. Ce chapardage (qui a déjà fait couler beaucoup d’encre) n’est pas systématique, loin de là. De nombreuses études sur le sujet on prouvé que l’oiseau n’était pas coutumier de ce genre de pratique n’en déplaise à Rossini ou à Hergé.

On me rapporte aussi leur nombre croissant au sein des villes et des villages. Si leur effectif a tendance à augmenter cela est dû, on l’a vu, à l’apport nutritif excédentaire. Notez que ce phénomène d’accroissement de populations touche bon nombre d’autres espèces comme le Pigeon de ville, la Perruche à collier ou la Conure. La raréfaction des prédateurs naturels que sont le Faucon pèlerin, l’Autour des palombes ou certains mustélidés (le Putois ou la Fouine, par exemple) fait que la pression n’est plus suffisante sur ces espèces envahissantes et cela rompt les équilibres. On signalera enfin que la présence des Corneilles favorise la dispersion de la Pie car bien que faisant partie de la même famille, les deux volatiles ne s’apprécient guère.

Une anecdote pour clore le sujet. Elle montre l’étonnante intelligence de l’animal qui ne cessera de nous surprendre. Étudiant, j’ai été interne trois années durant. Ma chambre donnait sur un parc magnifique bordé de hauts et beaux feuillus. Dans un peuplier d’Italie qui délimitait la propriété, un couple de pie avait élu domicile. Chaque hiver, ces oiseaux furetaient dans les allées, exploraient les pelouses des alentours, arpentaient la cour où nous passions nos récrés. Lorsque le temps fraîchissait, nous avions pris l’habitude, mes camarades et moi, de suspendre aux étages, par les fenêtres de nos chambres, la nourriture que nous avions en rab. Les aliments pendouillaient dans des sacs plastiques et gardaient ainsi le frais. Qu’elle ne fut pas ma surprise une après-midi, en rentrant des cours, de voir se percher sur le rebord de ma fenêtre une de ces deux pies. Sous mes yeux et sans vergogne, d’un coup de bec bien calculé, elle éventra le sac et saisit une tartine de pain blanc beurré de charcuterie que je m’étais réservée pour plus tard. Rieuse – sa pupille l’était, je puis vous l’assurer -, elle s’en alla dans le parc savourer son larcin. Le dernier souvenir que je garde de ce moment, fut le tchactchactchac sonore et railleur que son partenaire, qui avait observé la scène, me lança du haut de sa branche. Je ne sais s’il saluait la prouesse qui venait d’être accomplie ou s’il riait du bon coup, sacrément culotté, que l’oiseau avait fait à l’humain.

F.M.

Le 1 mai 2020

La pie bavarde en littérature

Morceau choisi

La pie a la passion joaillière, et ses humeurs sont à la rapine. On la sait alertée par l’éclat, la brillance, le scintillement ; les fenêtres ouvertes sont autant de tentations à s’introduire dans les chambres d’un vol furtif pour y dérober d’un bec sûr le bijou ou l’élément luisant de sa convoitise. Je la vis dans mon enfance, chaque jour à l’heure où le soleil d’été frappait les carreaux de ma chambre, piquer à l’endroit d’étincellement pour chercher à s’en emparer, évidemment en vain, se ressentir pleine d’un dépit qu’elle manifestait par des jacassements furieux, ce qui ne l’empêchait pas de tenter à nouveau l’exploit l’après-midi suivant.

La renommée de l’oiseau en matière de pillage n’est plus à faire. Cent fois on a retrouvé des alliances , des pierres précieuses, des bris de verroterie et des pièces d’argent dans son nid, ce nid le plus souvent couvert d’un dôme de sorte que l’ombre conservée à l’intérieur permet au bijou de donner là, par contraste, tout son éclat. Constatée souvent, cette passion n’a jamais été expliquée. Peut-être faut il voir dans l’attrait pour le joyau (qui vient de la joie, substantif du verbe jouir) comme un affinement ou une subtilité qui s’étend de l’appel des sens aux aspirations de l’esprit. La convoitise qu’il suscite serait une sublimation du désir en même temps qu’on y verrait un besoin d’embellir son chez-soi ou de quérir ailleurs l’alliance qui manquait à leurs amours.

Il n’est peut-être pas absurde ni incongru de chercher à une telle hauteur cette incompréhension, car la pie ne manque pas d’esprit de finesse ni de langage. Son cri est dans la jacasserie, le tchactchactchac claquetant, répété à l’envi, qu’elle soit postée ou en cours de vol en moulinets d’ailes, avec des notes sifflées, effilées, presque plaintives à la période des accordailles. De surcroît, la queue qu’elle a longue et extrêmement mobile par la souplesse des rectrices lui permet de lancer des informations ou un signe d’avertissement à ses pareilles, en même temps que d’exprimer ses sentiments, ses états d’âme, ses desseins du moment et son allégresse toujours reconduite.

Ses mets de prédilection sont dans les collections d’insectes, particulièrement les coléoptères de couleurs vives, la convoitise de l’appétit étant ici encore d’abord liée à l’éclat, si bien qu’elle préfère par-dessus tout la cétoine dorée, happée en vol ou piquée sur une fleur crémeuse d’ombellifère. Des moments plus festifs sont célèbres par la consommation d’escargots qu’elle emporte en vol, laisse choir sur une partie rocheuse pour briser leurs coquilles et se délecter ensuite avec avidité de la chair. Il m’a paru toutefois , les observant dans les moments où elles se nourrissent sur un mode assez expéditif, qu’elles trouvent plus de volupté au bavardage et à la frivolité du vol qu’à tout autre appétit ordinaire et obligé. Un ami ornithologue attaché à la réserve naturelle de Monfraguë en Espagne m’a appris que les pies sont les premières à repérer les charognes dans le paysage et que par leurs dessins d’ailes particulièrement visibles de loin, elles alertent les grands corbeaux ou des vautours moines, qui arrivent en second sur les lieux.

Les motifs contrastés de leurs livrées en blanc et noir, le noir étant avec des reflets , des miroitements d’un bleu métallique, font que lorsqu’elles s’accouplent, par l’effet du remuement , leurs plumages mêlés semblent un damier en folie ou en désordre, en contorsion vraiment captivante. Cependant, avant de marquer son assentiment à la population, la femelle tient à la parade en vol ou au côtoiement sur une même branche. Les pies s’apparient pour toute la vie mais elles se plaisent à répéter à chaque printemps nouveau les figures qui furent celles de leurs accordailles. Les rites de renouvellement du lien indissoluble sont dans la reconquête et la séduction reconduite sur un mode d’abord d’apprivoisement.

Le plus souvent sur une initiative de la femelle, les deux partenaires prennent leur envol, jacassent et sifflent de plus belle, avec une intensité plus allègre encore, décrivent des courses effrénées dans la futaie, dans l’entrelacs des troncs ou, en terrain découvert, dans l’abîme inversé du ciel. L’ivresse leur vient de l’air vif qui leur aiguise le corps, leur aiguise même le désir à neuf à la faveur des jeux de poursuite. Ensuite, elles se posent sur une branche à grande hauteur, à l’endroit où elles bâtiront peut-être leur nid de branchettes et de terre gâchée, et si elles continuent de jacasser par instants, par strophes, c’est un dialogue plus subtil qui s’établit alors par les mouvements prompts de la queue. Par là, elles expriment leur ravissement, leur sentiment d’absolu et leurs motivations intimes dans le plaisir de se trouver et se retrouver ensemble.

Extrait de “Amours en vol”, Jean-Pierre Otte, Julliard, 2005


♦ L’Hirondelle de fenêtre (Delichon urbica)

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Photo – Christophe Salin

La demoiselle avait mis le nez à la fenêtre. De là-haut, de son logement à l’allure de nid de guêpes, elle nous regardait, intriguée. Derrière nous, trois de ses semblables signaient un ciel à la Magritte de traits zigzagants et fiévreux. Ce 22 avril, vers les cinq heures du soir, nous étions émus aux larmes : quatre hirondelles de fenêtre étaient de retour en leur pays natal.

Voir une hirondelle au printemps tient du bonheur indicible. La joie vous monte à la gorge, l’émotion vous picote les yeux. Depuis la quinzaine de septembre et le déchirement des partances, nous les attendions. Les beaux jours revenus, on questionne l’horizon et on s’impatiente. On croit voir une silhouette dans un battement d’ailes lointain mais ce n’est que le vol hasardeux d’un étourneau. Et puis, les belles nous arrivent, goûtant goulûment à l’ivresse, haut sur les champs ou bas sur les plaines, se coursant l’une l’autre. Chez nous, elles passent devant les fenêtres de la maison et c’est la joie des retrouvailles. Quand elles sont là, on sait qu’elles ne nous quitteront plus jusqu’à l’automne.

L’hirondelle, c’est de la beauté à l’état pur mâtiné d’une fragilité qui n’est qu’apparence. Toute l’énergie passe dans ce souffle aérien de vitalité et d’aisance. Née de peu de chair, habillée de soie lisse comme velours, l’hirondelle, aux ailes de fuseaux, est de la légèreté alliée au soleil.

J’ai de la chance. Énormément de chance. Elles et moi partageons le même toit. Elles sont mes maîtresses volages – je les pardonne – et fidèles au lieu de leur naissance. Je n’ai qu’à tendre le bras pour les toucher. Du moins, je le pourrais, s’il n’y avait pas un mur pour nous séparer.

L’été, les fenêtres ouvertes, j’écoute leur dialecte secret. Je devine l’appel des oisillons, la complicité des jeux et les murmures accordés. Je suis le témoin discret de leurs longs et mystérieux conciliabules.

Contrairement à ce qu’on croit, les hirondelles ne sont pas qu’aériennes. Elles ont gardé en elles, le souvenir des roches qui furent leurs premiers ancrages. Elles se sont faites bâtisseuses, de force et avec le temps. Elles nous ressemblent pour ce goût du façonnage industrieux. Mille fois abattu et mille fois reconstruit, le nid des hirondelles de fenêtre est une prouesse d’élévation et de technicité. Il est une somme conjuguée de salive, de terre fangeuse et de crins assemblés avec patience et d’infinies précautions.

Point vital pour elles : l’accès à la terre. Une terre boueuse et un rien argileuse ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Autrefois, l’approvisionnement de cette matière première était assurée grâce à la proximité des fermes et des pâtures humides. Aujourd’hui, les fermes sont loin et les prés se raréfient. Il faut souvent chercher. Ajouter à cela les sécheresses à répétition qui sont autant de difficultés à l’installation durable de ces oiseaux. En effet, les étés caniculaires et les vents chauds assèchent les nids qui se fendillent et chutent lorsque les portées sont grasses, tuant les oisillons encore inaptes au vol.

Sur les quatre murs de ma maison, à l’ angle formé par la corniche et la façade, je compte 8 nids en ce moment. Ils sont inoccupés et datent de la saison passée. Tous ne retrouveront pas leurs propriétaires. Les couples qui nous arrivent ce printemps choisiront ceux qu’ils estiment les plus appropriés et les raccommoderont, si nécessaire.

Les hirondelles sont d’un courage inouï. Je ne connais pas d’hommes à la hauteur de leur vaillance. Dès les premiers jours de janvier, elles quittent leur hivernage africain, traverse le Sahara, franchissent la Méditerranée, remontent la France pour se répandre sur nos territoires. Certaines d’entre elles vont même jusqu’à la Baltique. À l’automne, c’est le chemin inverse avec une variante toutefois ; elles évitent le Sahara, préférant longer les côtes de l’Afrique de l’ouest. En une année accomplie, elles effectueront près de 10 000 km à tire d’ailes.

Je n’évoquerai pas les chiffres de mortalité de cet oiseau lors des épisodes migratoires. Ils sont conséquents. Sachez que sur deux cents hirondelles nées, une seulement atteindra l’âge de cinq ans.

La Belgique compte trois espèces d’hirondelles. Toutes sont protégées. Mais malgré cela, elles ont failli disparaître. Nous avons vu les causes principales de leur dépérissement. Un autre drame se profile : il est lié à son régime alimentaire. L’hirondelle se nourrit d’insectes au vol. Si ceux-ci venaient à disparaître, ça en serait fini de nos belles aériennes. Il faut y être attentif. Assurer le maintien des hirondelles , c’est veiller à la biodiversité des écosystèmes.

L’écrivain et dramaturge allemand, Ernst Toller, enfermé à la forteresse de Niederschönenfeld dans les années 20, partagea sa cellule avec un couple d’hirondelles. À leur propos il écrivait ceci : Maintenant que vous m’avez quitté, ô très chères compagnes de ma captivité. Comme ma cellule était chaude de votre vibrante mélodie, de l’haleine de vos petits corps, des ellipses sonores de votre vol précipité ! Ô vous les compagnes cosmiques de mon été, vous si chères à mon coeur, vous si loin de moi et pourtant si près, c’est avec une humble gratitude que je pense à l’amour que vous m’avez dispensé. Les hommes vous appellent bestioles, et, quand ils prononcent “bestiole”, un sentiment de supériorité passe dans leur voix. Quelle n’est pas leur folie ! J’ai appris à être plein de révérence devant votre ineffable animalité.”

Il n’est pas de plus beau témoignage de gratitude apporté à ces gracieuses passagères, ces compagnes merveilleuses de nos vies.

F.M.

Le 26 avril 2020

L’Hirondelle en littérature

Morceau choisi

L’Hirondelle et les petits oiseaux

Une hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,

Et devant qu’ils fussent éclos,

Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :

Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

Un jour viendra , qui n’est pas loin,

Que ce qu’elle répand sera ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

Et lacets pour vous attraper,

Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison :

Gare la cage ou le chaudron !

C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,

Mangez ce grain ; et croyez-moi.”

Les Oiseaux se moquèrent d’elle :

Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

Quand la chènevrière fut verte,

L’Hirondelle leur dit : “Arrachez brin à brin

Ce qu’a produit ce maudit grain,

Ou soyez sûrs de votre perte.

– Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

Le bel emploi que tu nous donnes !

Il nous faudrait mille personnes

Pour éplucher tout ce canton.”

Le chanvre étant tout à fait crue,

L’Hirondelle ajouta : “Ceci ne va pas bien;

Mauvaise graine est tôt venue.

Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,

Dès que vous verrez que la terre

Sera couverte , et qu’à leurs blés

Les gens n’étant plus occupés

Feront aux oisillons la guerre;

Quand reginglettes et réseaux

Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,

Demeurez au logis, ou changez de climat :

Imitez le canard, la grue, et la bécasse.

Mais vous n’êtes pas en état

De passer, comme nous, les déserts et les ondes,

Ni d’aller chercher d’autres mondes;

C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr :

C’est de vous renfermer aux trous de quelque mur.”

Les Oisillons , las de l’entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

Ouvrait la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

Extrait des Fables (Livre I – VIII), Jean de La Fontaine, Librairie Générale française, 1972


♦ Le Merle noir (Turdus merula)

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Photo – Ben Steeman

L’homme n’est pas le seul être vivant à se coltiner des virus. Loin de là. Par leur mode de vie et leur présence mêlés à la Nature sauvage, les animaux sont sans cesse confrontés aux parasites et autres agents infectieux. Telle est la vie. Les virus sont des régulateurs efficaces, ils mettent à l’épreuve les espèces et les contraignent à l’adaptation ou à la mort.

Depuis quelques années, le Merle noir qui est un des oiseaux les plus répandus en Belgique, est victime d’un virus qui a déjà décimé des centaines de milliers de turdidés en Europe. Ce virus usutu (c’est son nom scientifique), venu d’Afrique du Sud et véhiculé par un moustique, fut d’une agressivité effroyable et on a cru au pire. À présent, l’espèce semble tenir bon et le nombre d’individus tend à se stabiliser. Point d’interventionisme ni de mise en quarantaine ; l’oiseau a trouvé en lui les ressources suffisantes pour faire face. Du moins, c’est ce qu’on constate. Un point commun entre le drame qui touche le Merle et celui qui nous occupe en ce moment : la fragilité des immunités. Soyons lucides, les corps ne se portent pas bien. Et quand un virus survient, il ne fait que se répandre sur des entités qui sont autant de terres dévastées. Régimes de vie inadéquats, stress, tensions, pollutions de tout type, sédentarité morbide, la liste est longue de ces facteurs qui nous fragilisent et qui affectent le vivant autour de nous. 

À l’origine, le Merle était forestier. Il le fut longtemps. À l’apparition de l’Homo sapiens, un bouleversement des milieux s’opère et la forêt se retrouve grignotée de toutes parts. Se pliant au principe de l’adaptation, certaines populations de Merle font le grand saut et vont troquer leur vie sylvestre pour une vie plus citadine. L’adaptation fonctionne mais rarement quand elle est précipitée. Hier, le Merle qui fouillait le sous-bois forestier pour dénicher vers, insectes et fruits se voit aujourd’hui slalomer entre papiers gras et canettes dans les parcs bruyants des villes aux trop rares vergers. Le menu de l’oiseau change, ses humeurs aussi : moins de vers, partant plus de joie. Stress, bruits, saturation en particules fines, régime alimentaire perturbé, dans les cités qui ne dorment plus, ce cocktail détonant à de quoi mettre l’oiseau au tapis. Et qu’adviendra-t-il demain lorsque les ondes grilleront les dernières parcelles de vie ? 

Revenons à l’oiseau et parlons de son chant. Une mélodie douce et fruitée, reconnaissable entre toutes. Une saveur incomparable qu’on se plait à entendre au coucher et au lever, la fenêtre ouverte sur la vie. “le chant est là pour le salut de ceux auxquels il se donne” disait  le poète Guillevic. À méditer.

Je terminerai ce billet quelque peu sombre par une légende. Le Merle a souvent été lié aux mythes et aux histoires anciennes. Celle que je vais vous conter est d’origine celtique. Lors d’une froide mais belle nuit d’hiver, un jeune Merle s’aperçut que sa compère, la Pie bavarde, avait le bec rempli de bijoux brillants de mille feux. Alléché par ces miroitements, le Merle demanda à la Pie où elle les avait trouvés. Celle-ci lui avoua qu’il existait , plus loin, vers le nord, une grotte profonde dans laquelle un seigneur entreposait ses trésors. Cette grotte était protégée par un fier dragon féroce et sournois. N’écoutant que son désir, le Merle rejoignit sa belle et lui fit part de son souhait de se rendre sur les lieux. Ce qui fut fait sur le champ. Quand ils arrivèrent à la grotte, le couple, doucement et sans bruit, pénétra jusqu’au plus profond de l’antre où gisait le trésor. Tout autour d’eux, ce n’étaient qu’or, pierres précieuses, bijoux, diamants, orfèvrerie. L’avidité du Merle l’emporta sur sa prudence et il se mit en tête de dérober les richesses. « Attention ! » s’exclama la Merlette qui avait entendu un froissement dans l’obscurité de la grotte. Apeurée, elle s’envola vers la sortie sans demander son reste. Le dragon, qui sommeillait dans un recoin, s’était réveillé et dans une colère noire, fit jaillir de sa gueule un puissant faisceau de feu. Le merle s’échappa in extremis mais les flammes du dragon le brûlèrent. L’oiseau était noir de la tête aux pattes. Dans son bec, l’or avait fondu. C’est depuis lors que le Merle est un oiseau noir au bec jaune. Et qu’advint-il de la merlette me direz-vous ? Et bien, la belle échappa aux flammes du dragon mais pas à la suie. Depuis, elle est parée d’un plumage brun tirant vers le noir et parce qu’elle n’avait pas la gourmandise et l’avarice de son mari, son bec resta noir. 

F.M.

Le 22 avril 2020

Photo : Ben Steeman

Le Merle noir en littérature

Morceau choisi

Il s’est d’abord agi d’un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l’hiver. Son chant m’a réveillée à l’aube. Il chantait de tout son coeur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. Un autre lui a répondu un peu plus loin, sans doute d’une cheminée des environs. Je n’ai pu me rendormir. Ce merle chantait , dirait le philosophe Etienne Souriau, avec l’enthousiasme de son corps, comme peuvent le faire les animaux totalement pris par le jeu et par les simulations du faire semblant. Mais ce n’est pas cet enthousiasme qui m’a tenue éveillée, ni ce qu’un biologiste grognon aurait pu appeler une bruyante réussite de l’évolution. C’est l’attention soutenue de ce merle à faire varier chaque série de notes. J’ai été capturée, dès le second ou le troisième appel, par ce qui devint un roman audiophonique dont j’appelais chaque épisode mélodique avec un “et encore ?” muet. Chaque séquence différait de la précédente, chacune s’inventait sous la forme d’un contrepoint inédit.

Ma fenêtre est restée, à partir de ce jour, chaque nuit ouverte. À chacune des insomnies qui ont suivi ce premier matin, j’ai renoué avec la même joie, la même surprise , la même attente qui m’empêchait de retrouver (ou même de souhaiter retrouver) le sommeil. L’oiseau chantait. Mais jamais chant, en même temps, ne m’a semblé si proche de la parole. Ce sont des phrases, on peut les reconnaître, elles m’accrochent d’ailleurs l’oreille exactement là où vont toucher les mots du langage ; jamais chant en même temps n’en aura été plus éloigné, dans cet effort tenu par une exigence de non-répétition. C’est une parole, mais en tension de beauté et dont chaque mot importe. Le silence retenait son souffle, je l’ai senti trembler pour s’accorder au chant. J’ai eu le sentiment le plus intense, le plus évident, que le sort de la terre entière ou peut-être l’existence de la beauté elle-même, à ce moment, reposait sur les épaules de ce merle.

Extrait de “Habiter en oiseau”, Vinciane Despret, Actes sud, 2019.


♦ Le Grimpereau des jardins (Certhia brachydactila)

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Photo – Jo de Pauw

Du banc où je casse la croûte, à une centaine de mètres de l’ancienne gare de Thy, j’ai aperçu un grimpereau. Entendu serait plus juste car, la plupart du temps, on le repère à l’oreille avant de le voir. Dans le charivari des chants printaniers, entre les trilles d’un pouillot véloce et le babil bavard d’une fauvette, j’ai perçu les trois notes fines et sifflées du grimpereau des jardins.

Le lieu où je me tiens est une ancienne voie de chemin de fer transformée en voie verte pour cavaliers, cyclistes et piétons. Les rails ont depuis longtemps été enlevés et il ne subsiste que le tracé asphalté charriant sur les côtés ses écumes de ballasts. À cet endroit, le sentier se dresse en digue et de chaque côté, les versants offrent une végétation vigoureuse dévalant en grouillante diversité florale. Au-delà du rideau des arbres qui délimite le chemin, claironnent des prairies humides et des nasses d’eau. Plus loin encore, on la devine à peine mais je la sais présente, coule la Dyle au lit de pierres schisteuses. Dans ses méandres se jettent quantité de rys, pisselets sur le vert herbeux des prés. Le chemin que j’emprunte depuis trois kilomètres suit un axe nord-sud. Larges de quelques mètres, les abords subissent chaque hiver leur tonte réglementaire. Des noisetiers aux feuilles d’un vert luminescent, forment la première ligne, derrière, tendus vers le ciel comme des arcs, des frênes licheneux, des charmes aux musculatures d’hommes, et quelques chênes crevassés d’ombres.

Profitant de cette verticalité en marche, du lierre et de la clématite partent à l’assaut de la canopée. C’est sous leur couvert que mon grimpereau officie. Je le vois à présent épousant des lianes épaisses comme des doigts. Cet oiseau aux couleurs d’écorce est un hyperactif. Constamment en mouvement, il vrille en ce moment autour du tronc d’un charme cherchant l’insecte. Plumage cryptique et mouvement perpétuel : techniques de base du commando que le grimpereau maîtrise à la perfection. Ce poids plume est un athlète qui a oublié qu’il était oiseau car le discret, la plupart du temps, n’utilise guère ses ailes. Juste ses rectrices qui lui servent de pied d’équilibre. Son truc à lui, c’est la grimpette à la force des pattes. Il s’élève en spirale autour du tronc tout en sondant la moindre parcelle du végétal.

Très vite, je le perds de vue. Il doit probablement poursuivre son ascension par petits bonds saccadés jusqu’à la cime d’où il se laissera choir au pied d’un arbre voisin. Le manège ainsi recommencera, même gestes , même détermination.

Le but du grimpereau, c’est la rapine, la quête de l’insecte. Son extrême vitalité nécessite du carburant, il faut donc manger. Il n’a pas les armes de la sitelle ou du pic ; il ne peut ni tailler, ni marteler alors il sonde, il inspecte, il prend ce qu’il y a à prendre. La nature l’a affublé d’un bec long et légèrement recourbé, pareil au rostre d’un butineur. L’outil idéal pour fouiner, soulever l’écorce, pénétrer le secret des mousses.

Le grimpereau a ma sympathie car lui et moi, partageons le goût exigeant de l’escapade en solitaire à l’assaut des cimes. Le désir des sommets et la volonté d’y aller à pas réguliers, by fair means comme disent les anglais, en utilisant des moyens justes et équitables.

Saluons encore une fois, l’admirable complicité du végétal et de l’oiseau. Leur rencontre remonte à plusieurs millions d’années, bien avant notre entrée en scène. Ils savent l’importance de la collaboration bénéfique. Le végétal sait l’intérêt d’accueillir un tel hôte en son sein et l’oiseau le lui rend bien. Le volant le débarrasse du grouillant et du rampant. Quand on sait qu’un grimpereau adulte peut à lui seul ingurgiter des centaines de milliers de parasites en une seule saison. Cet animal-là, assurément, rend bien des services à la forêt et a de quoi rendre un arbre heureux.

F.M.

Le 18 avril 2020

Le grimpereau dans la littérature

Morceau choisi

Tandis qu’en encre noire se distille l’événement du 8, à ma fenêtre se présente dès le matin un nouveau sujet qui demande à figurer lui aussi dans ces pages, non que le petit spectacle qu’il me présente soit rare, mais peut-être parce que c’est le moment, puisque ce cahier est ouvert, et qu’il craint que, le voyant tous les jours , je ne l’oublie. Comme si, depuis que j’ai décidé de tenir ce registre, tout le monde – tout mon monde – se pressait en foule pour s’y faire inscrire. Y aura-t-il dans cette arche de Noé place pour chacun ?

Puisque aujourd’hui à ma fenêtre ils insistent, j’offre aux grimpereaux cette logette de papier. Ils sont à trois mètres de moi, parallèles, symétriques, chacun sur un des piliers de brique de part et d’autre de la barrière blanche ; ils les escaladent à petits sauts, centimètre par centimètre . Leur bec, un ciseau très effilé à la pointe recourbée,verni de noir, explore avec minutie les moindres cavités, les plaques de mousse et de lichen de ces troncs d’arbre artificiels. Progressant avec la régularité de petits automates, ils suivent une ligne verticale, sans se laisser dévier ni à droite ni à gauche. Parvenus au sommet, ils se retrouvent en bas d’un coup d’aile, et recommencent une nouvelle rangée, exactement parallèle à la précédente, méthodiquement, impassibles au milieu des allées et venues bruyantes des mésanges qui volettent en tout sens et ne semblent même pas les voir.

C’est que les grimpereaux n’ont pas une seconde à perdre : tant de troncs à visiter chacun, pas un de plus , pas un de moins, s’ils veulent gagner en menus insectes, en larves de toutes sortes leur très mince salaire.

Extrait de “L’Homme dans les bois”, Jacques Brosse, Stock, 1976.

♦ La Tourterelle turque (Streptopelia decaocto)

Tourterelles turques - Pascal Deruyver
Photo – Pascal Deruyver

Un couple de tourterelles a élu domicile sur le réverbère qui jouxte ma maison. Croyant passer inaperçues, elles se sont installées sur le capot qui chapeaute le lampadaire. L’endroit est attrayant : ponton solide, vue imprenable et, grâce à l’avancée de corniche, protection assurée contre les intempéries.

À vrai dire, ce ne sont pas les roucoulements qui m’ont alerté mais bien l’amoncellement de brindilles éparpillées, çà et là, sur le trottoir, au pied du luminaire. Quand j’ai vu le fatras, j’ai compris : on devait bâtir là-haut.

De la fenêtre, à l’étage, je les ai observées en tapinois. Le jeune mâle paradait, gonflé d’orgueil et de malice, et la femelle jouait l’indifférente. Ensuite, tout est allé très vite et il a fallu bâtir le nid. Chez les tourterelles, tout est organisation, répartition des tâches et temps de travail ramené au minimum. C’est le mâle qui se charge d’acheminer à sa promise le matériau adéquat et à voir la quantité de branchettes entassées en bas, la belle a des exigences de princesse ! Le reste du temps, le couple se cajole : frottements de joues, câlineries de becs et roucoulades. Les corps rentrent en résonance. Ces oiseaux-là sont démonstratifs dans leur attachement. N’ont-ils pas laissé à la postérité l’expression “ s’aimer comme des tourtereaux?”

Mais tout cela, c’était hier. Aujourd’hui, dans ce mois d’avril fleurissant, le temps est à la couvaison. Parlons du nid : ça sera bref. L’oiseau se satisfait de peu : une plate-forme comme reposoir et pour le reste, on l’a vu, quelques branches entrelacées. Peut-on parler d’un nid ? À première vue, il parait bâclé, quelque peu lâche, à peine ébauché. C’est ainsi chez la tourterelle : l’essentiel est ailleurs. Très vite, l’oiselle pond ses oeufs. Deux rotondités blanches voient le jour (jamais plus par couvée) et les nichées s’enchaîneront (jusqu’à 6) jusqu’à l’automne.

À la naissance des oisillons, la muqueuse du jabot du mâle et de la femelle se gonfle considérablement. Il s’y fabrique une substance dont la composition est voisine de celle du lait de lapine. Ce phénomène est dû à une hormone, la prolactine. Après avoir sollicité le nourrissage en émettant des cris d’appel aigus, les oisillons introduisent leur tête, chacun à tour de rôle, dans le gosier de l’adulte qui, alors, régurgite le contenu de son jabot, directement dans le bec du petit. Du lait par le bec, directement du producteur au consommateur. Étonnante nature.

On confond souvent la tourterelle avec le pigeon (ramier ou colombin). C’est une erreur grossière. La tourterelle turque a une dominance de gris dans son plumage avec une bande noire sur le cou et une large bordure blanche sous la queue. Son cou est étroit, le bec comme incliné. La tourterelle se distingue aussi nettement de son cousin des landes et des bosquets, la tourterelle des bois. Cette dernière offre une livrée brune, colorée, plus forestière. Ce cousin sylvestre fuit les grandes cités et s’ensauvage le plus possible au fond des forêts.

L’arrivée de la tourterelle turque dans nos régions est récente. L’espèce n’apparaît en Europe occidentale que dans les années 50. L’histoire mérite d’être contée : natif du bassin indonésien, c’est en Asie mineure que le volatile connut renommée et succès. Capturés au filet, cloîtrés en volières par les seigneurs ottomans, ces oiseaux dociles et délicats eurent les bontés des favorites dans les harems. La tourterelle connut le confinement feutré des palais et les confidences des belles, conseillères des rois. Un jour, dit-on, une cage fut ouverte sur le Bosphore et l’oiseau s’envola. La tourterelle n’avait plus qu’à gagner l’Europe aux anciens parapets.

On ne quitte jamais définitivement les mains qui vous ont nourri. Avec le temps, l’oiseau a retrouvé ses anciennes fréquentations mais garde une certaine distance avec l’homme. Le couple qui s’est installé sur le réverbère a peut-être encore quelques traits de ses anciens servages. La cage a disparu mais on n’en oublie pas pour autant les chaînes qui nous (re)lient. Mais sont-ce encore des chaînes ou les chemins d’une nouvelle alliance ?

F.M.

Le 15 avril 2020

La tourterelle en littérature

Morceau choisi

Zoziaux

Amez bin li tortorelle,

Ce sont di zoziaux

Qui rocoulent por l’orelle

Di ronrons si biaux.

Tout zoulis de la prunelle,

Ce sont di zoziaux

Amoureux du bec, de l’aile,

Du flanc, du mousiau.

Rouketout, rouketoukou

Tourtourou torelle

Amez bin li roucoulou

De la tortorelle.

On dirou quand on l’ascoute

Au soulel d’aoûte

Que le bonhor, que l’amor

Vont dorer tozor.

Extrait de Remuer ciel et terre, Norge, Editions Labor, 1985.

♦ La Mésange à longue queue (Aegithalos caudatus)

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Photo – Pierre Bourguignon

L’apparition de la mésange à longue queue est une fête, un jaillissement de notes claires en tonalités perlées. Il faut avoir l’oreille fine et avoir été longtemps baigné dans le grand dehors pour percevoir à travers les mille et une palpitations du Vivant le cri discret de ce splendide passereau.

Cet hiver, je les avais entendues pépiant dans un sentier qui longe une jeune boulaie. Pour les apercevoir, il avait fallu rester immobile. Nez en l’air, j’avais scruté un resserrement de branchages à quelques coudées de moi à trois mètres du sol. Le contre-jour avait laissé paraître des papillonnements : elles étaient là.

De l’automne jusqu’au printemps, les longues queues explorent la nature en petites bandes joyeuses et bavardes. Solidaires et organisées dans leur errance, elles procèdent à l’épouillage minutieux du couvert forestier. Leur collégialité disparate fait sensation : les intrépides balancent la tête en bas tout en s’agrippant aux feuillus ; les autres, les empressées, appelées par un besoin insatiable de se nourrir, béquettent avec avidité le moindre cm2 d’écorce. Dans un élan coordonné, elles se sont rapprochées de moi, telle une nuée bourdonnante d’insectes.

Elles étaient plus d’une dizaine ce jour-là, mâles et femelles confondus. Malgré mon immobilité silencieuse, je ne suis pas passé inaperçu. Elles percevaient ma présence. La petite troupe voleta vers les aulnes qui ceinturaient les berges du ruisseau à ma gauche. Le soleil faisait miroiter les troncs en écailles de poisson. Dans un déploiement d’ailes à peine forcé, s’appelant en écho pour garder un contact sonore entre elles, les mésanges s’effacèrent progressivement de mon champ de vision. L’observation n’avait duré qu’une minute à peine. Une dernière s’était attardée. Elle disparut dans une pirouette et un rond de queue que je pris pour un salut.

Dès les premiers jours du printemps, les mésanges délaissent leur vie communautaire et vagabonde, pour un temps d’amour et de nichées. Les couples réunis garderont leur distance avec le reste de la troupe jusqu’aux premiers froids. Le nid, ovale et allongé, est une merveille de patience et de détermination. Bâti dans un enfourchement de branchages à quelques mètres à peine du sol, il est chaulé de lichens et de mousse, tapissés de poils et de plumes, tissé de toiles d’araignées. La construction (qui s’effectue en couple) leur prend plusieurs semaines. La végétation enserrera progressivement le nid, le rendant parfaitement invisible aux curieux. C’est un bijou, la Nature est son écrin.

Mignonne et délurée, la longue queue est aussi appelée Orite. Elle se distingue surtout par ses couleurs et sa physionomie toute particulière. Sa queue de 6 à 10 cm est plus longue que son corps. Les individus d’Europe occidentale ont la tête marquée de deux larges bandes noires encadrant un liséré blanc sur le dessus de la tête. Des parties rosées couvrent son dos ainsi que son ventre et ses yeux noirs sont cernés de jaune orangé.

Comme bon nombre d’oiseaux remarquables, la mésange à longue queue possède en France une multitude de surnoms régionaux, preuve irréfutable de sa popularité dans les campagnes. Ainsi, elle fut appelée autrefois « Perche à queue » dans l’Orléanais, « Fourreau » en Sologne (pour la raison que son nid ressemblait à un petit four) ou encore « Queue de Poêle » en Anjou. Chez nous, on lui connait le doux nom de « tupinet ». 

F.M.

Le 14 avril 2020

La Mésange en littérature

Morceau choisi

Vers la mi-octobre, ceux qu’on avait cessé de voir près de la maison durant tout l’été reviennent du fond du jardin rôder du côté de la terrasse.

Les mésanges, voilà qu’elles s’accrochent même aux briques du mur, là où vous aviez suspendu les boules de graines et de graisse , l’hiver passé. À croire qu’elles s’en souviennent.

Alors, vous vous dites que malgré la douceur d’octobre, les chenilles doivent commencer à manquer, et pour parer au plus pressé , vous déposez une coupelle de graines de tournesol en guise d’appoint sur le bord de la terrasse.

Mais n’allez pas croire que l’on va de si tôt faire honneur à vos nourritures . On se tient à carreau loin de là, on tient à l’oeil l’objet intrus, on fait comme si on n’avait rien vu et pendant toute la matinée, rien ne bouge.

Il faudra attendre qu’une intrépide s’approche, seule, l’air d’une chapardeuse, qu’elle emporte une graine dans le lilas voisin, qu’elle la fende à coups vigoureux de bec et se la mange sur sa branche avant de filer, pour que se mette en branle le défilé des autres, ou plutôt le manège, les approches – pattes à peine posées sur la mangeoire que déjà il faut céder sa place – les chassés-croisés, les têtes noires et les têtes bleues, les coups de becs, les ailes déployées, les allures de chasse gardée que prend alors votre coupelle, bref, une espèce de guerre.

Quand vous revenez à la fenêtre de la terrasse, fin de l’après-midi, la mangeoire est vide. Vous vous demandez qui, finalement, aura eu le dessus.

Extrait de “Poids plumes” de N. Malinconi et K. Crêvecoeur, éditions Esperluète, 2019.


Vanneau huppé - Herman Blockx
Photo – Herman Blockx

♦ Le Vanneau huppé (Vanellus vanellus)

Dernièrement, des amis me questionnaient sur deux étranges oiseaux noirs et blancs qu’ils avaient vus volant en plein champ. Sans le savoir, ils ont rencontré le plus grisant de nos oiseaux européens : le Vanneau huppé.

Le Vanneau huppé (Vanellus vanellus), c’est le Plastic Bertrand des landes humides et des terres rases. Exubérant et fantasque, ce limicole égaré dans nos campagnes, est passé maître dans l’art de la haute voltige. Ce don divin de l’acrobatie aérienne, il le doit à ses larges ailes arrondies qui lui permettent vrilles et retournements en plein ciel , des manœuvres délicates qu’aucun autre oiseau de nos latitudes ne se risquerait à effectuer.

Derrière ces audacieuses figures, les ornithologues perçoivent les parades amoureuses que l’animal effectue avec son partenaire. Moi, j’y vois le geste gratuit, l’élégance et le panache d’un illuminé des cieux.

À ce style déconcertant, il faut ajouter une étonnante coquetterie (qui est souvent l’apanage des originaux) ; une huppe noire, longue et fine comme un fouet claquant au vent qui lui donne des allures de picador des volières.

Mais le plus saisissant, c’est le cri. Encore une fois, nous sommes bluffés. On le dirait tiré du répertoire bio-acoustique d’un synthétiseur des années 80. Visitez le site oiseau.net et vous vous ferez un avis.

Je peux encore vous parler de son habit noir et blanc qu’on distingue au premier coup d’oeil. Là encore, le volatile nous dupe : tout n’est que beauté dissimulée. Regardez-le à la jumelle ; le noir s’efface au profit de reflets verts et mauves teintés d’éclats pourprés. Le blanc est diffus, varié, inconstant. De la crête à la queue, le Vanneau brille par son originale apparence qu’il n’exhibe qu’à ceux qui daignent vraiment l’admirer.

Au sol et en plein champ, l’oiseau dispose son nid sur un petit tertre d’où il dominera la plaine. De là, il nous voit venir de loin et il aura tôt fait de s’envoler à la moindre alerte.

On pourrait se questionner longuement sur la présence de ce volatile dans nos campagnes. Lui qui affectionne tant les zones humides de basses eaux. Comme bon nombre de ses familiers, l’oiseau a vu son biotope se réduire comme peau de chagrin sous les poussées de l’homme sans cesse en quête de terre à investir. À défaut donc, l’oiseau a pris le parti de gîter sur les terres agricoles. Il y trouve vers, larves et mollusques terrestres qui constituent l’essentiel de son menu gastronomique.

Aux dernières nouvelles, la population des Vanneaux est estimée à  6 000 couples en Belgique. C’est beaucoup et peu à la fois pour cette espèce migratrice victime, on l’a vu, de la raréfaction des zones humides. À cela s’ajoute le danger que constitue l’installation des nids en terres agricoles, lieux mouvants et hostiles par définition. En effet, les travaux des champs, le passage répété des engins agricoles, le labour, tout peut perturber la nidification de cette espèce.

Pour qu’une nichée arrive à terme, il faut donc toute l’attention et la vigilance de l’agriculteur. Heureusement, nombre d’entre eux en sont conscients et les récentes mesures agro-environnementales (MAE) mises en place par l’Europe pour préserver son habitat aident grandement cette espèce et contribuent à sa survie.

F.M.

Le 11 avril 2020

Le Vanneau huppé en littérature

Morceau choisi

Un bon demi-siècle de par le passé, j’ai connu l’enchantement de contempler , au “Pays du Grand Meaulnes” (entendez la discrète mais toujours séduisante Sologne), les vanneaux, si parfaitement intégrés dans les paysages de landes et d’étangs (où quelques Guifettes moustacs survolaient ceux de la Grande Corbois, de Marcilly-en -Gault… et d’autres encore).

Or, pour l’heure et depuis lors, les volatiles à la longue huppe ont pris cette inexplicable option de nicher, à très hauts risques, sur les sols dénudés des fertiles terroirs limoneux de chez nous (à l’époque où les agriculteurs y travaillent “à fort coûteux renfort de leurs équipements électronico-mécaniques hyper sophistiqués”).

Jadis sur ces champs, par définition déjà peu adéquats à la biodiversité, ne pondait que l’une ou l’autre alouette (encore fallait-il qu’un sanglier, passé la nuit par là, y eût imprimé ses traces).

Quel est donc cet attrait déconcertant qu’éprouvent là les vanneaux à croiser leurs quatre oeufs sur des terrains saturés d’engrais chimiques et de pesticides ?

J’en ai vus, voici peu, qui paraissaient fort se complaire sur une jachère roussie au “Roundup”. Et, sur la terre nue d’un champ proche, leurs congénères semblaient bien peu soucieux de l’inquiétante présence de Corneilles noires, attirées par la pub alléchante d’un menu de premier choix.

J’en reste fort perplexe et bien en peine de tirer là quelque conclusion cartésienne…

André Pourtois, 2003


♦ L’étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris)

Etourneau sansonnet - Thibaud Caulier
Photo – Thibaud Caulier

Ta bafouille, c’est de la roupie de sansonnet ! Voilà donc une expression bien curieuse, quelque peu désuète et qui échappera peut-être aux jeunes lecteurs. Cette locution expressive désignait autrefois ce qui apparaissait comme insignifiant, de peu d’intérêt. Une peccadille, en somme, “un rien grand chose” dirait-on aujourd’hui par chez nous.

Si la “roupie” n’est pas une quelconque monnaie indienne mais bien la goutte qui vous vient au nez quand bise vente, le terme “sansonnet”, en revanche, désigne bien notre oiseau du jour, l’étourneau. Mais par quel étrange et curieux détour cet oiseau plumé de noir et moucheté de blanc se retrouve-t-il accolé à cette expression ?

À cette question, je ne peux apporter de réponse. Il faut l’avouer, l’origine des mots et des expressions se perd parfois dans les espaces infinis des steppes. Mais ce qui est certain, c’est que le chant de l’étourneau est loin d’être de la roupie ! Écoutez-le chanter, bec au vent, ailes déployées, juché sur une hauteur à la croisée des chemins ! Ses trilles généreuses en cascades tiennent du prodige et c’est peu dire ! Quel souffle, quelle imagination, quel poète ! C’est tout un opéra complexe qu’il nous donne à entendre, souvent varié, toujours surprenant.

On dit l’oiseau bavard, je ne partage pas cet avis. L’étourneau a quelque chose à nous dire de nos errements et il le fait avec style. Si nous prenions le temps de nous arrêter et de tendre l’oreille, je suis persuadé qu’il nous tombera une révélation des cieux. Les oiseaux sont des messagers et les hommes de piètres destinataires, fort peu enclin à les écouter.

Les spécialistes (ils sont nombreux) qui ont décortiqué son chant ont émis quantité d’hypothèses sur sa signifiance et ils s’accordent tous sur un point : il est impossible d’en définir clairement le sens. Le chant de l’étourneau reste un mystère et c’est tant mieux.

L’étourneau comme la Grive, l’Hypolaïs ou la Rousserolle verderolle font partie du club très select des oiseaux imitateurs. En ce qui concerne notre Sturnus vulgaris, il a en plus, le brevet du farceur. J’en ai entendu qui, et c’est vicieux en temps de confinement, imitaient, dans les villes, la sirène des ambulances. D’autres qui se plaisaient à plagier les chants entendus en migration. Certains étourneaux vont même jusqu’à nous tourner en bourrique en reproduisant nos sonneries de portables.

Si cet oiseau parvient à de telles prouesses, c’est sans conteste grâce à son don d’écoute, sa faculté de mémorisation et sa capacité d’apprentissage sans limite qui peut l’amener à retenir de nouvelles vocalisations jusqu’à la fin de sa vie. On nous souhaiterait à tous pareille mémoire !

Je ne vous parlerai pas des nuées qu’ils forment dans le ciel quand vient l’été, le texte de Nicole Malinconi que je vous laisse à la fin de ce billet vous en parlera mieux que moi. Leur vol collectif, corps soudés dans une énergie et une intention commune, tient du miracle. Et c’est là encore un mystère !

Dans les campagnes, les paysans les maudissent au temps des récoltes car ils saccagent les vergers. Les fruits mûrs tout gonflés de sucre sont de puissants attraits pour ces étourneaux qui grappés par milliers, peuvent en deux claquements de bec et un coup d’aile, vous mettre des hectares à nu ne laissant que fientes et désolation.

Pourtant, cet oiseau n’a pas toujours eu mauvaise presse par le passé. Ils furent même introduits dans certains pays car ils s’avéraient être de formidables aides pour les éleveurs nomades qui menaient paître leurs troupeaux. Perchés sur le dos des bêtes, les étourneaux les débarrassaient de leur vermine et rendaient là un fier service aux hommes, soulagés de ne pas débourser un sous pour le vétérinaire. Voilà encore le témoignage d’une belle complicité inter-espèce. Malheureusement, ces pratiques tendent à disparaître ; l’utilisation d’antiparasitaires chimiques a eu raison, là aussi, de cette culture agro-pastorale ancestrale.

Une amie m’a récemment confié qu’en ville, ces volatiles groupés et piaillant, peuvent, la nuit, être un véritable calvaire à vous faire passer des nuits blanches. Je connais le responsable ; l’éclairage public, ce gaspillage éhonté de photons. Véritable calamité pour le Vivant, la lumière artificielle permanente rompt la dynamique circadienne et rend les étourneaux particulièrement nerveux. Une solution : coupez la lumière et le calme reviendra aussitôt. Voilà encore un argument de poids pour en finir avec cette pollution lumineuse et imposer la nuit noire à nos villes et nos campagnes, permettant ainsi aux étourneaux comme aux hommes de dormir sur leurs deux oreilles.

F.M.

Le 7 avril 2020

L’étourneau sansonnet en littérature

Morceau choisi

Étourneaux

On dit : un vol de martinets, de pigeons ou de mouettes, et c’est d’emblée comme si l’on voyait passer ces bandes d’inséparables.

Parler d’un vol de rouges-gorges ou de rossignols, en revanche, ne nous donnerait sans doute pas grand chose à voir, tant ces solitaires nous impose le singulier en ce qui les concerne. On parlera donc du vol d’un rouge-gorge ou d’un rossignol à la fois, sans vouloir les rassembler malgré eux.

Les chercheurs et leurs études scientifiques ont pourtant trouvé des raisons de les classer, de les regrouper en espèces, en familles, ou en catégories, mais rien de ces regroupements n’apparaît jamais dans les airs ni dans les jardins.

Il faut dire , néanmoins, que voler en tribu, c’est aussi voler seul, forcément. À ceci près qu’au lieu d’aller et venir par-ci par-là, selon votre gré, l’air d’un indépendant, vous avez des voisins, des semblables par dizaines tout près de vous, avec qui vous devenez une envolée, quittant le toit ou la balustrade d’un seul élan, vous déployant comme un escadron ou filant de commun accord le long de l’eau, ou zigzaguant en plein ciel ; mais pas n’importe comment, pas selon votre gré ; ou alors, c’est que votre gré est pareil à celui de tous les autres, du grand corps de semblables que vous formez.

Vu d’en bas, cela a l’air simple, mais tout de même. On peut bien être né sociable, il ne s’agit pas pour autant de se coller aux autres ni de s’y cogner, à force d’être si proches ; l’attention et la précision s’imposent donc ; et on a beau avoir le regard aiguisé , on ne peut tout de même pas avoir l’oeil à tout.

Alors comment font-ils ?

Trouverait-on un semblant de réponse concernant les pigeons et les autres, qu’elle serait aussitôt balayée par la volée d’étourneaux que l’on voit au fond, que l’on prend d’abord, mais pas longtemps, pour une espèce de léger nuage noir quand, par exemple, on roule sur une route de campagne, jusqu’à ce qu’on distingue les innombrables petits points vacillants, des centaines sinon des milliers, s’approchant comme s’ils tenaient ensemble que l’on voit onduler, s’étirer, se mettre en boule, en tourbillon, s’amenuiser, devenir un ruban, se recouvrir soi-même, se contorsionner, passer du noir au gris, faire mine de s’éloigner, revenir de plus belle ; à tel point que, par prudence pour la conduite, on arrête la voiture et on ouvre la portière.

Des centaines , sinon des milliers de cris rauques sortent de la grande forme mouvante ; c’est comme une seule vocifération allant et venant avec elle, assourdie ou criarde au gré de tous ses revirements.

Les yeux peinent à suivre tous les revirements, les métamorphoses, la succession infinie des contours, si bien que l’on pourrait conclure un peu vite que de contours, il n’y en a pas et se contenter de l’image d’une grande vague imprécise, comme si la mémoire ne pouvait retenir les précisions que le regard ne voit pas quand une forme se déforme à n’en plus finir.

Quand une forme n’en finit pas d’être une forme, autrement dit.

Sauf toutefois, lorsqu’elle va s’abattre brusquement, comme crève une bulle, sur les arbres d’un parc et que tout d’un coup, éclatent dans la canopée les stridulations, les sifflements et les ramages des étourneaux, tandis que les promeneurs, les yeux levés vers les hautes branches , montrent les oiseaux aux enfants et protègent ceux-ci des fientes qui pleuvent sur les allées.

Voilà des façons de voler qui ne pouvaient passer inaperçues des chercheurs. Ils ont donc cherché le pourquoi et le comment à propos de ces milliers d’originaux qui ont l’air de s’en aller au hasard de commun accord et de commune vitesse, comme si le hasard était pareil pour eux tous et qu’ils n’avaient nul besoin d’indication ni d’aucun d’entre eux pour les mener.

On a tout de même supposé qu’ils avaient des raisons, comme par exemple, de faire perdre la boussole à l’épervier qui s’aviserait de s’en prendre à l’un d’eux, mais ce n’étaient que des suppositions. On a décrit avec les mots les plus savants le phénomène que l’on voyait ; on s’est servi des techniques les plus performantes pour mieux voir ; on a analysé en trois dimensions, coupé par plans, parlé de bancs polarisés, de vortex, de types d’interactions, d’alignements et d’attraction, pour finir par devoir se résigner à en être réduit aux suppositions, bref à ne pas trouver le fin mot du phénomène.

Justement, quant aux mots, ce serait encore mieux de s’en tenir à celui de murmurations – de murmures, dirons-nous -, que la langue anglaise a trouvé pour parler des étourneaux et de leurs nuées. Avec murmures, tout n’est pas dit.

Extrait de “Poids plumes” de N. Malinconi et K. Crêvecoeur, éditions Esperluète, 2019.


♦ La Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla)

Fauvette à tête noire - Jo de Pauw
Photo – Jo de Pauw

Perchée sur une branche de noisetier, dans la clarté fauve du jour finissant, à mi-distance entre le chemin et la lisière forestière, une fauvette à tête noire fait rouler des notes dans un phrasé fin et joyeux.

  C’est la première fauvette que je vois ce printemps. Quel plaisir de réentendre son chant sucré gorgé de soleil. Le mâle, facilement identifiable à son béret noir vissé aux bords des yeux, exhibe sa tenue grisée et sa silhouette gracile et élégante. Le plumes dressées sur la tête, il libère un chant ponctué de notes pures et bien articulées. Dans une trouée de lumière embroussaillée d’érables en pleine jeunesse, il chante sa belle qui doit se dissimuler là dans quelques fourrés. On la devine attentive aux babillages volubiles et clairets, sa coiffe rousse, tendant vers le brun orangé, lui assurant un habillage plus discret presque imperceptible. La nature est bien faite : elle préserve la femelle, garante de la nichée, des prédateurs et assure ainsi la pérennité de l’espèce. En milieu sauvage, l’exubérance des couleurs, c’est le risque augmenté de la prédation. Dans la Nature, plus l’être tend vers l’invisibilité, plus il a de chances de survivre.

  Oiseau des buissons et des broussailles, la fauvette à tête noire n’a pas le goût des hautes futaies. Elle affectionne les milieux ouverts où poussent arbustes, arbrisseaux et ronciers. En ville, on l’entendra dans les parcs et les jardins, protégée par les haies bordurières où elle a l’assurance d’une certaine quiétude.

  De son nid tressé de brindilles et d’herbes sèches, souvent dissimulé dans des ronciers denses et touffus, à un mètre du sol, sortiront dès les premiers jours de mai, de frétillants oisillons dont le cri de contact est facilement repérable. Tendez l’oreille : il ressemble à si méprendre au bruit produit par deux billes qu’on entrechoque.

  D’insectivore à la belle saison, la fauvette devient frugivore à l’approche des grandes migrations d’automne. Baies et drupes au menu et tout vient à point pour les ventres de ces Sylvidés. La nécessité presse : il faut emmagasiner le plus de réserves possibles pour le grand voyage qui les mènera vers la Méditerranée et l’ouest du continent africain. À cette occasion, elles peuvent prendre jusqu’à 30% de leur poids en se gavant à satiété de tout ce qu’il y a à glaner. Au retour, dès les premiers jours du printemps, les insectes faisant encore défaut, elles se rabattront sur les baies du lierre ou les fruits du gui, sources nutritives prodigieuses.

  Le lierre et le gui, considérés à tort comme des plantes parasites, se révèlent être de formidables garde-manger pour l’avifaune. Leur fructification hivernale est un appoint considérable de nourriture pour les populations migratrices qui reviennent souvent épuisées et affamées des confins méridionaux. Voilà encore une raison supplémentaire de laisser foisonner, chez vous, ces précieux végétaux.

F.M. 

Le 4 avril 2020

La Fauvette à tête noire en littérature

Morceau choisi

 « Mais aussi, plus on souffre, plus on jouit, car le vent du nord apporte joie, nouvelle chaque année, de l’arrivée des migrateurs. Jusqu’à présent, seuls quelques avant-gardes éparses étaient passées sans s’arrêter, et nous nous inquiétons de ce retard paradoxal, puisque la végétation avait été si précoce. Et cette bise, descendue de Scandinavie, nous l’attendions, car le flot des voyageurs ne remonte que par vent debout, ramant à contre-courant, seul moyen pour eux de retrouver leur territoire , alors que sous le vent ils échoueraient n’importe où.

  Rentrée la première , la fauvette à tête noire ce matin s’égosille dans le buisson des symphorines. Et déjà, elle proclame d’une voix intrépide, abrupte, mais fruitée, juteuse, d’une voix toute éclatante de révélation – et qui, si attentivement on l’écoute dans le vide du coeur, la lui communique aussitôt -, elle proclame tout haut, à toute force, ce que personne n’a jamais encore osé dire. »

Extrait de “L’Homme des bois”, Jacques Brosse, Stock, 1976.


♦ Le Moineau domestique (Passer domesticus)

Moineau domestique - Eric Van Hul
Photo – Eric Van Hul

Ce n’est pas un déclin, c’est un effondrement. Dans une totale indifférence.

En 25 ans, Bruxelles a perdu près de 95 % de sa population de Moineaux domestiques, Paris près de 75% de ses effectifs. Dans la plupart des grandes villes européennes, un même constat ; le Moineau domestique et son cousin, le Moineau friquet, s’inscrivent désormais en bas de la liste des espèces en voie de disparition. Et nos campagnes ne sont pas épargnées par ce phénomène, loin de là.

Les spécialistes formulent plusieurs raisons à cet état de fait : pollution, trafic routier, raréfaction des lieux de nidification ou encore omniprésence envahissante des chats, nos prédateurs domestiques.

Qui aurait cru qu’un jour les pierrots comme les appelait ma grand-mère, si nombreux autrefois, ces compagnons de nos tablées champêtres et de nos pique-niques improvisés, puissent disparaître dans la plus grande indifférence ?

Son omniprésence discrète l’avait rendu presque invisible à nos yeux. Il fut pourtant à nos côtés depuis l’apparition de l’agriculture, il y a dix mille ans. À l’époque, les hommes cultivaient surtout le chiendent et l’orge sauvage, les ancêtres de nos céréales actuelles. Les graines de ces plantes ont été vraisemblablement la première source de nourriture des Moineaux. Au fil du temps, les grains engrangés constituèrent un apport nutritif capital et les fermes, de merveilleux lieux de nidification. Là où l’homo sapiens cultivait la terre et bâtissait, le Moineau se sédentarisa et accompagna l’homme même jusqu’au coeur des villes quand apparurent les Cités.

Plus que tout autre oiseau, ce passereau pose la question du Vivre ensemble. Dans des environnements anthropisés, sans cesse sous pression, l’animal sauvage doit s’adapter constamment et trouver de nouveaux espaces de vie qui s’amenuisent de plus en plus. Pour les espèces dépendantes de l’homme et au régime nutritif quasi-exclusif (le Moineau est surtout granivore), c’est une catastrophe.

Aurait-on condamné les Moineaux par inconscience ? Sont-ils contraints à la disparition inévitable du fait de notre propension à nous répandre sans mesure et à ignorer ce qui vit à nos côtés ?

Au-delà du drame qui se joue, quelle place laissons-nous à l’oiseau, au mammifère, à l’insecte, au végétal qui peuplent notre quotidien ? Inutile de revenir sur les innombrables services que la communauté de ces êtres en interrelation peuvent rendre à l’homme. L’air-même que nous respirons dépendant d’eux. Mais qu’adviendra-t-il de notre humanité lorsque privés de leurs présences habitées et joyeuses, nous serons soumis au silence et au vide ?

L’arrachage d’une haie, la transformation d’une friche buissonneuse en un parking, l’amélioration énergétique d’un bâtiment qui supprime toute installation de nids, les vagabondages de nos félins domestiques, l’épandage de pesticides, les moteurs que l’ont fait tourner, le bruit qui arrose tout, les ondes électromagnétiques de nos technologies illimitées, la pollution lumineuse d’un réverbère, tout est autant de sources de perturbation pour le Vivant. Pour cela, nous avons aussi nos parts de responsabilités.

L’ornithologue écossais, James Dennis Summers-Smith, spécialiste de ces passereaux, se demandait dans les années 70 si le Moineau domestique ne jouait pas le même rôle que le canari utilisé autrefois dans les mines. Si ce familier disparaît de nos villes et de nos campagnes, disait-il, c’est que celles-ci présentent des dysfonctionnements fondamentaux et qu’elles risquent de devenir, à terme, fort nocives pour l’homme. Dont acte. 

Un voisin a récemment coupé la moitié de sa haie pour terrasser son allée afin d’y parquer son Audi. Une belle haie de symphorine où pépiaient encore, il y a quelques mois à peine, des dizaines de Moineaux domestiques. Depuis, plus aucun chant. C’était le dernier endroit à proximité de la Place de mon village où gazouillaient encore ces oiseaux.

Triste constat dans une actualité qui l’est tout autant. Mais il important que ces drames ne soient pas tus sous-prétexte d’épargner notre moral. L’oiseau, lui , n’est pas épargné.

Un espoir subsiste : il y a dix ans les populations d’hirondelles tendaient à disparaître. Des actions concrètes furent menées et la tendance changea. Aujourd’hui, les effectifs sont plus copieux et tendent à se stabiliser. C’est heureux. De telles opérations de sauvegarde pourraient être menées pour nos Moineaux avec de grandes chances de réussite.

On l’a vu dans ce billet, le Moineau nous questionne sur le Vivre ensemble. C’est d’ailleurs le véritable défi de notre société : coexister. Une coexistence harmonieuse et respectueuse des différentes espèces, de leur espace vital et du rôle que chacune a à jouer, même le plus insignifiant. La juste mesure de chacun dans cet univers et la nécessité vitale pour l’homme de préserver durablement ce qu’il a reçu en partage avec une obligation morale pour l’humanité ; sans coexistence, point d’existence possible.

F.M.

Le 3 avril 2020

Le Moineau domestique en littérature

Morceau choisi

Assis sous les noisetiers du jardin, j’écoute les bruits que fait par ses feuilles , ses insectes et ses oiseaux, tout arbre qui ne se méfie pas.

Silencieux, inanimé à notre approche, il se remet à vivre dès qu’il ne nous croit plus là, parce que nous nous taisons comme lui.

Après la visite d’un chardonneret, qui voltige dans les noisetiers, donne aux feuilles quelques coups de bec et repart sans m’apercevoir, c’est un moineau qui vient se poser sur une branche au-dessus de ma tête.

Bien que déjà dru, il doit être jeune. Il serre la branche avec ses pattes, il ne bouge plus, comme si le vol l’avait fatigué, et il pépie d’un bec tendre. Il ne peut pas me voir et je le regarde longtemps. Puis il me faut bien remuer. Au mouvement que je fais, le moineau ouvre à peine ses ailes et les referme sans inquiétude.

Je ne sais pourquoi je me dresse, machinal , et du bout des lèvres, la main tendue, je l’appelle.

Le moineau, d’un vol gauche, descend de sa branche sur mon doigt!

Je me sens ému comme un homme qui se découvre un charme ignoré jusque-là, comme un rêveur qui souriait par hasard à une femme inconnue et la voit sourire.

Le moineau confiant bat des ailes pour garder son équilibre au bout de mon doigt et son bec est prêt à tout avaler.

Comme je vais le montrer à la famille sûrement émerveillée, notre petit voisin Raoul, qui semblait chercher quelque chose, accourt :

Ah ! Vous l’avez ? dit-il.

– Oui, camarade, je sais les prendre, moi !

– Il s’est sauvé de sa cage, dit Raoul, je le cherche depuis ce matin.

– Comment, c’est le tien ?

– Oui, monsieur. Il y a huit jours que je l’élève. Il commence à voler loin et il reste bien apprivoisé.

– Voilà ton moineau, Raoul ; mais ne le laisse plus s’échapper, sinon je l’étrangle : il me fait des peurs !

Extrait de “Histoires naturelles”, Jules Renard, Gallimard, 1984.


♦ Le Rouge-queue noir (Phoenicurus ochruros)

Rougequeue noir - Stéphane Vandenbulcke
Photo – Stéphane Vandenbulcke

  Je l’entends dès sept heures du matin par la fenêtre de ma chambre ouverte sur le grand dehors. Il doit être perché sur la ligne faîtière de la grange d’à-côté. Je le devine dans sa tenue stendhalienne de rouge et de noir, le bec ouvert dans le soleil roulant des airs flûtés.

  Le Rouge-queue noir est un ténébreux, la société des oiseaux n’a pas sa préférence. Avec l’homme, c’est autre chose. Un compromis tacite s’est installé mêlé de distanciation sociale et de partage du territoire. Une forme de commensalisme spatial, en quelque sorte. En ville, comme à la campagne, l’oiseau se frotte les pattes de notre insatiable besoin de bétonner les espaces et de dresser des verticalités minérales. Nos toitures en fibrociment et nos murs en parpaings sont ses gîtes à défaut des falaises et des rocailles où nichaient ses lointains ancêtres. Dans ces erzatz de nature que la modernité nous laisse, le Rouge-queue y trouve de quoi loger sa pépiante progéniture tout engoncée dans des nids tressés d’herbes sèches et tapissées de poils.

  Comme pour bon nombre de migrateurs de nos régions, c’est le mâle qui nous revient en premier après son séjour africain. Une raison : le territoire perdu durant l’hiver doit être reconquis et les places sont chères au soleil ! Le Rouge-queue serait-il fidèle au lieu qui l’a vu naître ? Je ne sais. Mais il me plait de le croire. Savoir que celui qui chante en ce moment dans le froid du jour est celui qui nous quitta hier m’est d’un certain réconfort : il est bon de retrouver ses voisins après une longue période d’éloignement.

  Nous ne pouvons nous quitter sans parler du chant caractéristique de cet attachant passereau. Un phrasé clair de notes répétées se ponctuant par une espèce de froissement de papier comme celui que produirait le compositeur insatisfait chiffonnant sa partition du jour. À cela un autre chant peut s’ajouter semblable à celui que ferait un chef d’orchestre tapotant ses baguettes sur son lutrin. Ne vous ai-je pas dit que le Rouge-queue est un tantinet artiste ?

F.M.

Le 2 avril 2020

L’oiseau en littérature

Morceau choisi 

Le printemps est le temps des amours. L’oiseau se fiance et célèbre ses noces. Les nouveaux venus vont connaître la joie des épousailles, de la tendresse partagée.

Un miracle se produit et se renouvelle chaque année. La couleur des plumes du mâle s’avive, sa voix devient plus harmonieuse. Il lui faut séduire sa future partenaire , retenir son attention et provoquer son acquiescement.

À l’époque des parades précédant les fiançailles , le mâle se livre à des danses devant une femelle. Il tourne sur lui-même, virevolte à la façon d’une figurine de boîte à musique ; son amour colore ses plumes dans la lumière ; il étale ses ailes afin de les faire chatoyer. Telle une femme coquette, il déploie sa splendeur et ses charmes, sa séduction provoque les accordailles.

Extrait de “L’oiseau et sa symbolique”, Marie-Madeleine Davy, Albin Michel, 1992.


♦ Le Troglodyte (Troglodytes troglodytes)

Troglodyte mignon - Christophe Verriest
Photo – Christophe Verriest

 Le Troglodyte cache bien son jeu. Le qualificatif “mignon” dont les spécialistes l’ont affublé ne révèle pas grand chose de sa véritable nature tout en contrastes dont je vais tenter, modestement, d’en dévoiler certains aspects.

  Par sa taille (moins de 10 cm) et par son poids (9 grammes, à peine), on pourrait croire que le Troglodyte est un chétif, un fragile. Certes, avec le Roitelet (nous en parlerons plus tard), il est le plus petit passereau de nos contrées mais derrière ce gabarit “poids plume”, se cache un vif aventurier, un intrépide. Volant à ras de sol, bondissant d’une brindille à l’autre, s’arrêtant un bref instant pour repartir aussitôt ; le Troglodyte est un concentré de nervosité sur quelques centimètres de chairs palpitantes et de plumes.

 Comme le Geai des chênes, son complice des hauteurs, le Troglodyte est le gardien éveillé du sous-bois, son royaume. Au premier intrus, il alerte la plèbe fourmillante des souches  par un cri semblable à la crécelle qu’agitaient autrefois les lépreux aux abords des villages.

  En amour, le mignon est un coquin. Voyez plutôt : dès les premiers réchauffements printaniers, le cœur attisé par les feux des passions, les mâles s’évertuent à bâtir çà et là une quantité impressionnante de nids (on peut en compter des dizaines) qu’ils montreront plus tard à leur dulcinée. Les belles feront leur choix. Mais quand viendra le temps de la couvée, certains galants, peu enclin au maternage, s’éclipseront discrètement le cœur porté déjà vers d’autres conquêtes. Oui, le Troglodyte se révèle parfois polygame.

  Si vous êtes profane en matière ornithologique, vous passerez certainement à côté de ce phénomène miniature sans vous en rendre compte. Ce passereau sait se faire oublier et de fait, Dame Nature l’a paré d’une livrée des plus discrètes : brun tendre tirant vers le marron moucheté, son plumage est un excellent camouflage qui le rendrait parfaitement invisible s’il n’était pas trahi par sa queue dressée à la verticale, ses trépignements incessants aux allures de révérence et sa fierté toute gauloise à clamer haut sa présence.

  Le mot « troglodyte » en grec fait référence à son habitat, la caverne. Loin de loger au cœur des anfractuosités froides et humides, ce petit passereau, qui côtoye sources et ruisseaux, affectionne les nids ronds et délicats, tout rembourrés de feuilles et de mousses qu’il n’hésite pas à loger dans les recoins les plus inaccessibles que la nature recèle.

  Mars sonne le retour des passions, les feuillaisons sont encore timides et les sous-bois dégagés, profitez-en pour approcher discrètement ce charmeur gracile qui sûr de son invisibilité se laisse encore facilement observer.

  Bonne observation et belle découverte !

F.M.

Le 30 mars 2020

Le Troglodyte en littérature

Morceau choisi 

Lundi 10 février

Les Troglodytes

Pendant que je me promène, ils me sortent entre les jambes, jaillis soudain des bruyères et traversant l’allée presque au ras de terre, aussitôt disparus sans un bruit. Tandis qu’au printemps, à peine sont-ils parvenus sur l’autre rive que, bien en vue sur une branchette, ils poussent des cris stridents qui font savoir leur mécontentement d’avoir été dérangés. C’est probablement que, caché dans les buissons, il y a un nid.

Extrait de “L’Homme des bois”, Jacques Brosse, Stock, 1976.

♦ L’Alouette des champs (Alauda arvensis)

Alouette des champs - Geoffrey Raison
Photo – Geoffrey Raison

Ce petit oiseau est un amoureux du soleil. « Si pauvrement vêtu, mais si riche de cœur et de chant », écrivait Michelet, l’alouette est un bravache qui ne craint ni le vent ni les frimas printaniers. Écoutez-le s’époumoner dans le clair du jour et à la verticale des champs. Il fait partie de ces oiseaux qui nous étonnent par leur courage et leur hardiesse à s’élever au-dessus du lot tout en poussant la chansonnette. Lui, il dénote assurément. Mais si on l’entend et on l’écoute bien volontiers, on ne le voit guère. C’est un discret et la plupart du temps, il se colle à la terre qui l’a vu naître.

De février à la fin juillet, ce migrateur se métamorphose en un incroyable ténor céleste. Des trilles s’enchaînant en des babils plus subtils pouvant comporter près de 400 motifs sonores différents. Il grisolle, dit-on et n’hésite pas, gonflé d’orgueil à force de tutoyer le soleil, à défier les plus effroyables rapaces qui furètent sur ses espaces de vie en quête de jeunes poussins à dévorer. 

F.M.

Le 29 mars 2020

L’Alouette en littérature

Morceau choisi 

Je n’ai jamais vu d’alouette et je me lève inutilement avant l’aurore. L’alouette n’est pas un oiseau de la terre. Depuis ce matin, je foule les mottes et les herbes sèches. Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets peints à vif flottent sur les haies d’épines. Le geai passe la revue des arbres dans un costume officiel. Une caille rase des luzernes et trace au cordeau la ligne droite de son vol. Derrière le berger qui tricote mieux qu’une femme, les moutons se suivent et se ressemblent. Et tout s’imprègne d’une lumière si neuve que le corbeau , qui ne présage rien de bon, fait sourire. Mais écoutez comme j’écoute. Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d’or des morceaux de cristal ? Si je regarde en l’air, le soleil brûle mes yeux. Il me faut renoncer à la voir. L’alouette vit au ciel, et c’est le seul oiseau du ciel qui chante jusqu’à nous. 

Elle retombe, ivre-morte de s’être encore fourrée dans l’œil du soleil. 

Extrait de « Histoires naturelles », Jules Renard, Gallimard, 1984.


Remarque : toutes les photos prises pour illustrer ces textes sont extraites du site Observations.be