Reportage

Un reportage sur les plus belles forêts de France

Pendant 46 jours, du 4 juillet au 18 août, j’ai sillonné, à vélo et en solitaire,  les plus belles forêts de France en quête de découvertes Nature. Le voyage, riche en rencontres et en explorations, est ici relaté sous forme d’extraits journaliers pris au hasard de mes envies et de mes humeurs buissonnières. Des bocages de l’Avesnois aux Cévennes et des bords de Loire aux Vosges, découvrez, au rythme doux du voyage à vélo, la France côté Nature.


Extraits du carnet de route

4 juillet 2017

Il est midi, ciel neuf. Le triste gris du matin a fait place à un beau bleu azur. On ne peut espérer mieux comme viatique. Couleur carte postale, joli clin d’oeil au voyageur qui entame sa route. Frasnes : premier arrêt de la journée. Là-haut, le bleu se strie de lignes blanches rectilignes qui dessinent comme un grand quadrilatère dans le ciel. Les traces des départs se lisent aussi dans les cieux. […]

Luttre : chemin de halage jusqu’à Roux. Je caresse le canal Charleroi-Bruxelles à contre-courant, jouant à saute-mouton avec les écluses. Charleroi : Le gris du matin s’est jeté dans la Sambre qui a une drôle de couleur rouille après les premières usines. L’horizon s’est bosselé des premiers terrils. C’est triste et ça n’invite pas à la chansonnette. Thuin : changement d’ambiance. Les abords se verdurisent et je retrouve une respiration. Les peupliers festonnent les berges, le ravel serpente joyeusement. […]

À 19H, je déploie la tente tout au bord de la Sambre, à un pied du chemin de halage. Je fais d’un coin d’herbe mon domaine. Les passants me sourient tout étonnés : j’ai déjà les cuisses toutes rougies de soleil.


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Bord de Sambre – Erquelinnes

5 juillet 2017

Dans la nuit trois agents de la DNF m’ont réveillé, éclairant ma tente de tous côtés :

– Vous pêchez, monsieur ?

– Pas en ce moment, me suis-je entendu leur dire, enfoui tout nu au fond de mon sac de couchage, à moitié endormi.

Sur mes bons mots, ils sont remontés dans leur véhicule et m’ont laissé me dépatouiller avec le reste de ma nuit.

Au petit matin, j’ai quitté mon bord de Sambre pour suivre le chemin de halage vers Erquelinnes. La rivière me montre le chemin de la frontière que je franchis sans m’en rendre compte. Jeumont et son église sur un tertre qu’encercle toute une ville bruyante aux accents du Nord. Ca discute ferme à la sortie du supermarché local pendant que je remplis mes gourdes et enfourne deux pains au chocolat. Après la pause ravito : montée en pente douce vers ValJoly. Traversée de villages. J’oscille entre plateaux et fond de vallées. Autour de la route départementale que je suis depuis ce matin, champs bocagés enserrés de haies de charmes, d’aubépines et de frênes.

Valjoly. Joliment aménagé pour les touristes et les locaux qui viennent en nombre consommer et barboter autour du plan d’eau qui ne compte plus ses hectares de superficie. Buvettes, troquets, boutiques et centre équestre pour satisfaire la demande. L’herbe est tondue de près. Les arbres sont rares. Le gazon est à la fête. Les enfants rackettent allègrement leurs grands-parents et le parking ne désemplit pas.

16H. Départ vers Eppe -Sauvage. Re-montée boisée, re-descente qui ne l’est pas moins. Route bordée d’arbres et je respire enfin car il fait chaud à découvert ! Eppe : Joli village, beau clocheton. Les maisons sont façadées de frais. Je regarde l’horizon : une ligne de forêt pointe son nez sur les hauteurs, à deux sauts de chevreuils de la frontière Belge. Chimay n’est pas loin.

Arrêt pour la nuit le long d’un GR, celui de l’Avesnois qui s’en va son chemin au plus profond de la forêt. Sur ma gauche à cinquante mètres du sentier, une trouée de lumière tout près d’un chêne qui ne fait pas ses cent ans. Le sous-bois est tapissé de jeunes hêtres qui attendent leur tour au soleil. Un calme règne sur la forêt. Bel endroit pour y passer la nuit. Sur mes avant-bras et dans mon cou, quelques taons égarés confondent ma chair avec celle des bovidés. Installation de la tente. Un soin, une toilette du corps et sous la tente quelques lignes à rédiger pour le compte rendu du jour.

Dehors, j’entends les pas trottés de sieur Renard, suivi de près par compère Sanglier. Ils passent à vingt mètres de moi sans me voir. Une belle journée, en somme.


6 juillet 2017

L’ Avesnois et ses bocages au programme. Ca remonte et ça redescend. Un menu pour se faire les jambes en bon cyclo. Les villages défilent : Anor, village de l’acier et des forges. On croit entendre encore le marteau battre l’enclume. Eparcy,  Bucilly,  Leuze,… Les accents n’ont pas changé : on ne passe pas comme ça d’une région à une autre. Je prends mon temps et m’arrête dès que je peux. Il fait chaud. Il faut donc boire. Heureusement, pour se ravitailler en eau, les cimetières sont des endroits sûrs ! Vous y trouverez toujours un point d’eau potable. Et dans la région, les cimetières, ça ne manque pas… La guerre de 14 est passée par là. Dans les champs, entre les touffes de blés mûrs, des blockhaus tout couverts de mousses surgissent guettant d’hypothétiques ennemis. […]

Pour ceux qui en doutent encore, la France est rurale. Sur la route qui m’a mené jusqu’ici, je ne cesse de croiser tracteurs et bétaillères. C’est que ça s’active dans les fermes. L’heure des moissons est arrivée. […]

À Signy – l’Abbaye, je pénètre dans les Ardennes françaises. Et je songe à « Balcon en forêt » de l’écrivain Julien Gracq, le natif d’ici. Au cimetière, où je fais ma provision d’eau pour la nuit, je cherche sa tombe en vain. […]

Signy, c’est aussi une vaste forêt domaniale inspirante et généreuse. De beaux fûts de chênes s’expriment sur des tapis de fleurs sauvages. Les hêtres ne sont jamais loin et le tout rend une belle harmonie forestière, douce et rassurante.

22H, premiers coups de tonnerre et c’est l’orage qui s’annonce. Branle-bas dans les sous-bois : le pépiement de la sittelle s’espace et le pouillot véloce s’est carapaté. Moi, je file sous ma tente et fais une prière pour que le vieil hêtre tout grêlé de trous de pics -et sous lequel j’ai choisi de m’installer-, tienne encore debout cette nuit.


7 juillet 2017

Il y a un dieu pour les aventuriers : l’orage est passé et le hêtre a tenu bon. Au petit matin, toute la forêt est dans son drap de pluie. Le soleil fait timidement son apparition à la cime des arbres et je vois là un signe qu’il faut partir. En remontant la départementale, à la lisière de la forêt domaniale de Signy, je m’arrête un instant près d’un beau chêne et de sa petite chapelle virginale. Une Marie dans une petite guérite de bois perchée à quatre mètres du sol et qui me regarde d’un oeil bienveillant. L’endroit ne paie pas de mine et on ne s’y arrête plus guère.

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Le Chêne de la Forêt domaniale de Signy-l’Abbaye

Un peu plus loin, un autre chêne séculaire , avec son torse musculeux, tatoué d’un beau fer à cheval incrusté dans l’écorce. Les arbres sacrés ne manquent pas dans la région. Ils sont même pointés sur ma carte. Ici un chêne, là un hêtre, un frêne parfois. Des arbres sacralisés apportant la chance ou faisant des miracles. Lieux de dévotion aussi et de pèlerinage. Derniers reliquats d’anciennes pratiques aujourd’hui révolues. Moi, je persiste à rendre grâce au lieu en le débarrassant de quelques vieux papiers tout déchiquetés par une débroussailleuse. Histoire d’y mettre un peu ma part.

Le reste de la journée est consacrée à la traversée de la Champagne jusqu’à Reims. Une belle occasion d’admirer le grenier à blé de la France. Plaines de l’Artois, plaines de Champagne : même combat ! Nourrir le bon peuple de France et remplir les rayons des hypermarchés, programme utile et plus que nécessaire. À voir le va et vient des cultivateurs sur leurs gros engins bruyants, on pourrait croire que les affaires marchent. Mais à y regarder de plus près, c’est tout le contraire ! Le printemps trop sec et trop chaud a brûlé les récoltes avant que de les faire mûrir. Le blés ont cuit sur pieds avant maturation. L’eau manque et manquera encore cet été. Les nappes phréatiques sont désespérément basses. Les pluies de ces derniers jours ne suffiront pas à étancher la soif de la Terre. Il fait trop sec depuis un an et l’hiver passé n’a pas apporté sa part d’eau nécessaire. Le maïs ne pousse pas ou mal, le colza jaunit sur tiges et les agriculteurs passent des nuits blanches. La campagne de juillet a des allures de mois d’août sur sa fin.

Je m’arrête sur le plateau qui domine le village champenois d’Avançon. Une potale est maintenue debout par deux beaux Faux -acacias qui font tournoyer leurs branches dans le ciel de l’après-midi. Au loin, c’est l’alouette qui pousse sa trille.

Reims. Dans le fond de l’horizon, on devine aisément la cathédrale. En y pénétrant, je suis tout absorbé par les vitraux gorgés de la lumière du soir pendant que l’organiste s’évertue à faire ses gammes sur l’orgue monumental . En faisant le tour du choeur, je tombe sur le vitrail retouché par Chagall.

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Vitrail de Chagall à la cathédrale de Reims

À l’office du tourisme, une gentille demoiselle au strabisme convergent me conseille un camping en bord de Vesle (prononcer « Velle »). Arrivé sur les lieux, je fais la rencontre de Maylis, Jennifer et Jimmy qui s’en viennent de Pontoise pour le Festival « Clin d’oeil ». Jennifer est sourde et muette, Maylis parle et signe tout à la fois et Jimmy, récemment introduit dans le monde des malentendants signe déjà pas mal pour quelqu’un qui s’y est initié il y a à peine deux ans. Jimmy est pour l’instant tout sourire : mon vélo lui rappelle ses fougueuses escapades en Espagne et en Angleterre. Nous nous échangeons nos souvenirs et nos bons moments sur la route pendant que Maylis, toute attentive à notre échange fait la traduction pour Jennifer. Les mains se croisent et dessinent de beaux petits cercles et d’affolantes courbes dans l’air.

[…]


8 juillet 2017

Au petit matin, Maylis vient déposer à l’entrée de ma tente un petit pain au chocolat et un croissant. Je m’éveille à peine et la remercie pour cette attention. Nous nous disons au revoir. Au fond du sac, elle et Jimmy ont laissé une adresse mail pour que je leur donne de mes nouvelles. […]

Aujourd’hui, je m’en vais gaiement rendre visite aux Faux de Verzy.  Pas banal comme rencontre ! Les Faux – par « Faux », il faut entendre « Fagus », le nom latin donné à notre Hêtre commun-. Ceux du village de Verzy ont une spécificité bien à eux : ils poussent tout tordus. Tout convulsés comme les doigts d’un arthritique de vingt ans d’âge. Sacrée engeance que ces faux-là. Préférant les courbures à la droiture, ils s’adonnent avec élégance et persévérance au contorsionnisme. Au diable la normalité, les faux de Verzy sont de vrais excentriques qui défient toutes les lois de la nature.

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Un hêtre tortillard de Verzy

Le badaud cherche une explication. Le scientifique lui en apporte. Mais l’hypothèse pourtant fouillée d’une tare génétique ne me convainc pas. J’y vois plutôt une folle danse, une belle gigue champenoise au coeur de cette forêt précipitée en haut du balcon de la montagne de Reims. Une sarabande arbustive joyeuse qui donne même le goût à un vieux chêne de faire quelques pas de côté. Car la danse est contagieuse et d’autres essences ont l’air de s’y mettre aussi. J’ai même vu, au détour d’un sentier tout aussi tortueux, un résineux embrasser follement un feuillu dans une étreinte arbustive lascive et lianesque.

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Chêne imitateur de hêtre tortillard

À Louvoy, je discute avec deux jeunes GRistes parisiens qui s’en viennent le temps d’un week-end tourner autour de la montagne de Reims en suivant méthodiquement le balisage prescrit. Savent-ils ce qui se trame sur les hauteurs ? Je leur conte mes aventures forestières avec mes hêtres tortillards mais ils n’en ont cure : ils ne pensent que vignes et coteaux ensoleillés.

Les vignes, j’ai l’occasion de les voir, évidemment, elles ne peuvent se manquer. Tout adossées qu’elles sont au versant sud du massif. Descendant en torrent jusqu’au canal latéral de la Marne, elles sont la fierté des Champenois. Ici, on pense vigne avant de penser tout court. Le reste n’est que défilé de villages devenus des succursales de négociants en vins du pays. Fauvillers occupe le peloton de tête des villages bouchonnés : on se presse des quatre coins de l’Europe aux terrasses des estaminets pour déguster le vin qui pétille et qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs.

À Epernay, je gagne la Marne et son agréable tracé vert qui suit le chemin de halage. On ne peut rêver mieux et c’est un réel plaisir que d’y rouler. Les jeunes et moins jeunes sont de sorties, le temps est au beau. Les vélos rutilants se croisent et se saluent. On jogge un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Sur une table en bord du canal, je grignotte de petites tomates cerises en regardant passer les estivants.

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Canal latéral de la Marne près d’Epernay

De part et d’autre de la rive, ça pêche et les récoltes sont belles dans les filets. Un peu plus tard dans la soirée, des kiosques répandent de la musique. Ca chantonne un peu, ça boit pas mal. En suivant ma route vers l’ouest, je lorgne tous les dix mètres un emplacement idéal pour camper en bord de rive. Les places sont chères et les bons coins déjà occupés.

La pleine lune sort d’un buisson et le ciel passe au bleu foncé. Sur ma gauche une trouée : un sentier et une petite placette dégagée tout à côté du cours d’eau. Un peuplier, ivre d’eau, penche gaiement vers la Marne. Un aulne marque la limite avec le fleuve en barbotant les pieds dans l’eau.

La tente installée, je passe les dernières heures du jour à contempler la Lune qui gagne de la hauteur.

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Marne sous la pleine lune

9 juillet 2017

En allant rendre hommage à la rosée par un petit jet d’urée matinale, j’ai croisé le regard souriant d’un pêcheur sur l’autre rive. Je lui ai rendu son sourire, un peu gêné, pendant que je terminais d’arroser une touffe serrée de consoude.

Ce matin, je prends mon temps : c’est dimanche. Même en voyage, j’aime à préserver un certain respect des convenances hebdomadaires. Les péniches-croisières de la Marne m’inspirent et je me vois bien en vieux loup de mer sur les canaux de France à raconter à qui veut bien l’entendre mes frasques du temps où j’étais terrien.

Voie verte le long du fleuve jusqu’à Dormans. « Après, c’est fini ! », me dit la jolie demoiselle de l’office du tourisme de la ville. Mon rêve de gagner Paris par la Marne et son beau chemin de halage se brise net sur le comptoir mais pas mon envie d’en savoir un peu plus sur la vieille route qui mène tout droit jusqu’à Reims. Mais les infos manquent et ma conseillère aux yeux bleus est bien en peine de me contenter.

Dans le parc de la Mairie, des familles jouent aux boules. Et vas-y que ça tire et que ça pointe. Une boule manque de peu un petit garçon qui s’est aventuré un peu trop près du terrain. Il fait grand soleil sous les platanes qui étendent leurs grosses pattes monumentales sur un sol pelé comme un cul de singe.

Ce qui est bien le dimanche en France, c’est que les camions sont aussi au repos. Ca donne vraiment un air de vacances sur la départementale.

Passé Marchais-en-Brie, la météo passe à l’orage et la pluie me tombe dessus au moment où je glisse une rondelle de saucisson sur la langue. Mais il y a toujours un dieu pour le voyageur affamé et c’est un abribus qui me tend ses bras pour la suite du repas.

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Fuite d’une buse variable avant l’orage

Le ciel champegnois repasse au bleu et me joue une mélodie irlandaise. Me revoilà en selle pour suivre la piste grise que je me suis concoctée ce matin. Un objectif : la forêt de Jouy. « Jouy », je me dis que je ne peux pas mieux tomber. Sur le chemin, j’essaie de me remémorer à haute voix les répliques croustillantes de l’ oie qui ouit de Raymond Devos…

Déjà la forêt me fait des yeux doux et m’a préparé une belle couche. Je suis le chant d’un pouillot véloce et tombe nez-à-nez face à un beau chêne recépé aux troncs larges comme des colonnes d’église.

L’orage refait un tour et j’ai juste le temps de monter la tente et de m’y engouffrer. […]


10 juillet 2017

Les pluies n’ont cessé que tard dans la matinée. Vers 11H, j’ai consciencieusement replié la tente. Route vers Chenoise, puis Brie et Nangis. À Nangis, je passe au Carrefour du coin. Un moineau pépie tout son saoûl tout en haut du rayon confiseries. Je me demande si les gens autour de moi s’en aperçoivent.

Route vers Fontainebleau, l’objectif du jour. C’est important les objectifs mais faut pas être trop zélé. Donner de temps à autre un peu de mou dans les voiles… En parlant de voiles, aujourd’hui, c’est jour de grand vent et ça chahute pas mal quand on roule plein ouest.

Les ilots de forêts me protègent du vent sournois qui aimerait bien me voir pieds à terre et les parcelles cultivées dégagées sur les plateaux sont de vraies accroche-quilles insupportables. Je peine et prends sur moi.

Vers les 16H, j’arrive en bord de Seine du côté de Champagne-sur-Seine et je traverse le fleuve allègrement. Après Mont-sur-Loing, et sa charmante rivière, je zyeute un coin pour passer la nuit.

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Traversée de la Seine à Champagne-sur-Seine

Sur la départementale qui grimpe dans le massif de Fontainebleau, je me dis que c’est bien assez pour aujourd’hui et je bifurque d’un coup sec sur le bas-côté pour m’enfoncer dans la forêt. Une sente se dessine à peine et je dois éviter les fourrés d’aubépines qui ficheraient en l’air ma pneumatique. Cent mètres et des poussières en portant le vélo sur une bonne partie du trajet avant de trouver mon trou de verdure sous la protection d’un bel alisier. En contre-bas, j’entends passer le train et ronronner les moteurs forçant la montée. Les endroits idylliques se font rares.

[…]


11 juillet 2017

La traditionnelle pluie de matin s’est encore invitée au petit-déjeuner. Elle m’a fait un dernier salut avant de filer en douce vers l’ouest. La météo est mitigée depuis deux jours mais rien n’entame le moral du pèlerin sylvestre que je suis. À la dernière goutte, je suis sorti de dessous ma toile comme un beau diable en poussant un grand cri primitif. Histoire de ne faire qu’un avec mon ancêtre, le primate. Avec mes petits bras à peine velu et mon torse tout blanc, je pense ne pas avoir été très impressionnant. Derrière moi, j’ai cru entendre un pic épeiche rire du haut d’un vieux châtaignier.

En un temps presque record, mes affaires sont empaquetées et je file belle allure le long du Loing que j’avais quitté la veille au soir. Plantations de pins, chênes verts, sable chaud sous les résineux, la calune ne ment pas : c’est déjà un petit air de Midi qui s’annonce en bordure de forêt de Fontainebleau. Pour un peu on se croirait en Drôme.

Au lieu dit de la « Roche cailleau », c’est tout un chaos gréseux qui me tombe dessus, comme des vagues sur la grève. Je pose la bécane et m’en vais crapahuter dans les hautes pierres. Sautant de caillou en caillou. On dirait qu’un géant s’est amusé aux osselets. Tout autour de moi, ce n’est qu’empilement de blocs de plus ou moins grandes importances. Des lichens gris se répandent à leur aise sur des pierres que d’anciennes mains expertes ont lacérées. Traces aux allures géométriques , traces archaïques témoignages des premières représentations rupestres. Pour un peu, il me semblerait voir surgir de derrière le coteau, une troupe anarchique de Néandertaliens.

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Lieu dit de la « Roche cailleau »

La lumière donne clair à travers la pineraie et les feuilles de chênes font miroiter tout cela en un bel arc-en-ciel. Plus loin, autre style et autre époque : un menhir est planté bien droit comme une tige condruzienne dans un champs de blés. Le Menhir de la Croix Saint Jacques voit défiler les époques en bordure de départementale et ça le laisse de marbre.

Après Gironville, c’est tout droit, plein ouest avec un vent qui refait surface pour le bonheur de mon genou droit. C’est galère mais pas encore insurmontable. Je fais chuter la moyenne et je me dis que ce n’est qu’un avant goût du plateau limousin.

Après Étampes, Villeconin, je longe la vallée de la Renarde en passant par le petit village de Souzy-la-Biche. Ca sent le roman de Jules Renard ou le « Bestiaire enchanté » de Genevoix. L’imagination merveilleuse n’est pas que dans les livres, mon bon monsieur !

À Hellemonde, une pancarte de bord de route me propose un camping naturiste. Je décline gentiment l’invitation mais ne refuse pas un passage à la douche. Après avoir fait un bon brin de toilettes avec la permission de la tenancière, je remplis les bidons et m’en vais coucher ailleurs. Les nudistes sont ouverts mais bruyants… et je privilégie le repos à la rencontre en tenue d’Adam. Descente sur Saint-Chéron, banlieue verte de la très verte Chevreuse. Un GR me montre le chemin du doigt et c’est un beau taillis de châtaigniers en pleine adolescence qui m’attend. […]


12 juillet 2017

Ai quitté Saint-Chéron pas fâché même si la pluie m’a contraint à patienter sous la tente. Pour ces moments-là, j’ai toujours un roman dans la sacoche. J’ai donc sorti A. B. Guthrie de la gibecière et « Sa captive aux yeux clairs » m’a emmené chevaucher le Grand Ouest une bonne partie de la matinée. Dehors, les averses se succédaient par petites touches crépitant sur la toile.

Une heure passée, la pluie a eu son compte et je peux enfin lever le camp. Saint-Chéron derrière moi, voici le Parc Régional de la Haute Vallée de Chevreuse et ça vaut le détour. Les Yvelines ont un standing et n’y habite pas qui peut. Maisons restaurées avec goût et moyens : on respecte l’ancien, les parterres sont bichonnés de vivaces aux couleurs vives, les devantures rafraîchies de près. Les maisons toutes de grès et de tuiles cuites ont leur pesant d’or et c’est à peine si je crois défiler par moments dans des villages-musées parfaitement entretenus. De belles allées d’arbres clôturent les anciennes fermes devenues palais. La forêt sert aussi à cacher les luxueuses propriétés des regards trop curieux.

Un peu plus loin, place aux prairies. Les hippodromes parisiens sont à deux encablures à peine. Ici, on soigne les canassons et la terre est bien grasse à pâturer. Rien à voir avec les prés roussis du Nord. Les fiers équidés cavalcadent plein d’entrain sur des espaces qui font rêver.

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Aux alentours de Rambouillet

Rambouillet. Je m’y perds un peu en voulant aborder la ville par le Nord, voulant ainsi éviter la circulation. Au final, je tourne en rond dans une ville pas très ronde et m’arrête fourbu pour faire le plein. Ravitaillement dans un hypermarché de la périphérie. C’est vaste comme la gare Montparnasse et tout aussi bondé, à croire que tout Rambouillet s’y est donné rendez-vous. Je compte trois allées de congellos ouverts qui tournent à plein régime et j’ai une pensée pour l’ours blanc sur sa banquise. Sur les présentoirs, des rayons « charcuteries et fromages », les denrées débordent de tous côtés. Je suis pris d’un vertige et suis à deux doigts de demander de l’aide à l’étalagiste du rayon parfumerie.

Finalement, je me suis bien récupéré et j’ai mangé chaud dans un resto pas cher du centre commercial. Un de ces restos qui vous propose des plats pas chers et en définitive pas si mauvais que ça. En reprenant la route, j’ai pointé une zone forestière sur ma carte michelin à quelques kilomètres à peine. En moins d’une heure, je campais sous une vaste chênaie toute habillée de son pijama vert.

À la feuillée, à vingt mètres de mon bivouac, je me suis trouvé nez-à-nez avec un marsupial qui m’a fait un effet boeuf. Lui, pas gêné pour un sous, était campé, droit sur ses quilles, à vingt mètres de moi à me regarder. Tout bedonnant et grisonnant du poil. J’ai cru rêver. Le temps de remonter mon short, il s’est détendu comme un vieux ressort qu’on libère et a gagné en quelques bonds un fourré un peu plus loin sur la gauche. J’ai juste eu le temps de le prendre en photo et il s’est carapaté sans demander son reste.

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Mon compagnon de feuillée

[…]


13 juillet 2017

En me réveillant, j’ai repensé au marsupial de la veille. Une dame d’Émancé qui s’en va promener son chien me donne l’occasion d’une réponse : « Vous savez, vot’bête-là, elle s’est certainement échappée de la Réserve zoologique, ça arrive souvent. La plupart du temps, elles reviennent, elles ne vont jamais très loin. » La peur de la solitude ? La nourriture peut-être aussi… Pas évident pour un kangourou austral de vivre en parfaite autonomie dans une forêt tempérée occidentale.

[…]

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Chartres en bout de piste…cyclabe

Chartres, enfin. À quelques kilomètres de la ville, on voit déjà se dresser ses tours pointues. Phares hallucinants dans la grande nuit de nos déserrances. Voici Chartres et sa cathédrale au toit cuivré de vert. Tout nous ramène à Chartres. On y croise toutes sortes de gens : pèlerins sans pèlerines, visiteurs en toutes les langues, mendiants discrets, locaux affairés, touristes d’un jour et commerçants inquiets. J’entre dans Chartres en suivant l’Eure qui brouille les pistes. Montée raide sur le haut de la vieille ville. Rues pavées et étroites. Pour un peu on se croirait au Puy en Velay. Je passe au petit plateau et je mouline pour éviter de trop suer. La ruelle serpente comme un orvet au soleil. Dernier lacet qui tourne à gauche et j’entrevois enfin, pleins feux, la belle cathédrale et sa façade sud. Je pose la bécane contre un muret et gravis les marche. De là-haut, des siècles nous contemplent nous dit le poète qui n’avait vraisemblablement pas le vertige.

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Détails d’un bas-relief – Cathédrale de Chartres

À l’intérieur, les vitraux font leur petit effet aguicheur mais c’est surtout les sculptures qui monopolisent les regards des curieux. Faut dire que j’ai rarement vu plus éblouissant comme travail ; sur une oeuvre monumentale qui fait le tour du choeur, on lit les épisodes de la vie du Christ sculptés finement dans de la pierre calcaire. Une vraie « bédé- lithique ». Je m’attarde sur les détails, sur la minutie des reproductions et sur les touches toutes personnelles des oeuvriers, formidables artistes aux mains expertes. […] Sur la scène des rois mages en exstase devant un christ joufflu et souriant, je vois , en arrière-plan, des brocolis d’arbres qui résument la forêt de Judée. Plus loin, des feuilles de vignes finement ciselées et des tapis de verdure qui tombent comme des chevelures païennes.

[…]


14 juillet 2017

Aujourd’hui : fête nationale, repos et lessive. Je prolonge d’une nuit mon séjour au camping municipal. En attendant que le linge sèche dans le tambour de la laverie du centre-ville, je lis Pastoureau et son étude sur la couleur verte.

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Chartres et sa cathédrale

Au supermarché de la périphérie, la caissière me regarde curieusement. En fait , elle fixe une fourmi qui fait ses étirements sur mon oreille droite. « Elle voyage avec moi », lui dis-je. La jeune fille me rend un sourire un peu crispé et je vois bien que les insectes ne sont pas sa tasse de thé.

Dans le camping, deux geais bataillent ferme pour un territoire dont j’ignore les limites. Suspendus aux branches d’un chêne tordu, ils s’évertuent à prendre l’ascendant l’un sur l’autre. Le chêne, bien au-dessus de tout ça, attend que ça passe.

Mon séjour prolongé me permet de découvrir un peu mieux la vieille ville, ses ruelles et ses petits parcs retirés. Une ville qui a fait le pari des aménagements pour les vélos et ce n’est pas pour me déplaire.

[…]


15 juillet 2017

Départ dans la joie et les cliquetis légers et rassurants d’un vélo bien huilé.

À l’armoire-livres de la principale avenue commerçante du vieux Chartres, je troque mon Guthrie (enfin terminé) pour « la Vouivre » de Marcel Aymé. Belle initiative que le principe des « Boîtes à livres » publiques. On se sert librement en livres et on alimente en retour. Lectures partagées, lectures encouragées. Le principe marche bien et fait même des adeptes. Une lecture, c’est comme une nourriture nécessaire, ça vous remplit l’estomac et le coeur.

Je salue la ville une dernière fois avant de m’élancer joyeusement plein sud, direction Orléans.

Plaine de Beauce. Beauce : grenier à blé de la France. Décidément, les greniers en France ne manquent pas !

Si vous voulez vous figurer la Beauce, tendez un grand drap de plusieurs kilomètres de long, laissez-y quelques plis sur les bords, éclaboussez ce bel ensemble de quelques taches pour vous figurer les villages et pour le reste, plantez-y du blé. Abondamment.
Car le blé , c’est toute la réputation de la région. Ou plutôt « c’était ». Car la Beauce aujourd’hui tire une autre figure. La mondialisation et le libre-échange sont passés par-là. L’agriculteur d’ici  fait grise mine et tague à même l’asphalte son cri de détresse : « L’agriculture en marche arrière » lit-on à un rond-point. C’est là, toute la détresse d’un milieu précipité tout entier à la catastrophe faute d’une vision soutenable et pérenne.

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Agriculteurs en colère

Les moissonneuses pourtant continuent à battre la campagne et à ratisser les champs. De grosses machines lancées à plein régime dégagent de grosses fumées âcres et poussiéreuses. Les volutes mêlées de terre, de foins et d’herbes restent longtemps en suspension dans l’air faute de vent.

Ici, plus qu’ailleurs, on décèle une terre qui a soif et les agriculteurs ont du mal à payer la tournée. D’énormes installations de diffusion et de propulsion d’eau sont amenées sur les parcelles. Des tuyaux sont tirés sur plusieurs centaines de mètres au coeur des champs. On s’en va pomper dans les rivières et les nappes phréatiques… Pratiques qui participent à l’assèchement général. On hydrate jour et nuit des champs sur lesquels ont fait inconsciemment pousser des cultures quémandeuses en eau. Une aberration et un non-sens.  Les plans de pommes de terre virent au roux. Le maïs pousse mal ou pas du tout. Sur la route de Varize, une lance en tourniquet a été mal orientée et son jet puissant propulse sa giclée d’eau sur la départementale que j’emprunte. Douche gratuite pour le cyclo qui passe.

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Arrosage en Beauce

Traverser la Beauce, c’est, à un moment ou un autre, cheminer avec l’ennui. Alors pour briser la monotonie des platitudes et exploiter aussi ses longs corridors venteux, le génie civil s’est mis en tête de planter des éoliennes. Elles poussent drus comme des Renouées du Japon le long d’une autoroute wallonne.

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Éoliennes dans ciel de Beauce

[…]

Orléans et sa cathédrale. On se souvient de la Pucelle, la bonne Jeanne de France. Née à Domrémy, morte à Rouen mais fêtée à Orléans. La cathédrale lui est en effet toute consacrée. Dans la nef centrale, les bannières de ses valeureux compagnons d’armes sont déployées ostensiblement. Sur le côté droit, à la croisée avec le transept, la bannière jaune or du tristement célèbre, Gilles de Rai. À sa droite, le Christ en croix fait mine de l’ignorer.

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Cathédrale d’Orléans

Après la cathédrale, descente vers la fleuve qui n’est pas loin. Belle Loire, me revoilà. Passer le fleuve, c’est tout un symbole car c’est une belle moitié de France qu’on laisse derrière soi, et ce n’est pas rien ! Je fête ça à l’eau gazeuse en achetant une bouteille de Saint-Yore dans une petite boutique bio des quais.

La suite, c’est une belle balade bucolique en suivant le GR aménagé pour les cyclos, la fameuse Eurovélo 6 qui chemine le long de la Loire et qui prend son départ au bord de l’Océan atlantique. Un grand classique dans les propositions de voyage à vélo. La piste que je décide d’emprunter est comme un petit filet coincé entre le fleuve et les bords des belles villas du Loiret.

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Vol de Cormorans au-dessus de la Loire

Réserve de Mesmin en bord de Loire : Orme lisse, Peuplier noir… rien que du beau monde chez les arbres. Un peu plus loin, à la lisière du village de Saint-Ay, je me trouve un bel emplacement en bord de Loire pour la nuit.


16 juillet 2017

Une dame hélant son chien me réveille dans les premières heures du jour. J’ouvre un oeil, le second prend son temps. En bord de Loire, cancanent des oies . Un galinule à quelques mètres de la berge klaxonne comme une Fiat 500. Un cygne blanc remonte le courant bientôt rejoint par cinq autres. Ils déplient leur long cou et le plongent dans le fleuve en mouvement synchronisé en quête de quelques algues. Des mouettes – pas si rieuses que ça – se pourchassent à ras d’eau. Un peu plus haut dans le ciel, des hirondelles tournoient dans tous les sens. L’eau rend de troublants miroitements, des scintillements avec une lumière de dessus des vagues. Les neuf coups sonnent à l’église de Saint-Ay. La dame a enfin retrouvé son chien qui s’est offert un bain de Loire.

Route vers la Sologne. Je passe la Loire à Meung. Rien à dire : prés, champs, forêts. Passé le Loiret, le ton change. La forêt se densifie. Des senteurs vous prennent en pleines narines ; odeurs prononcées des résineux, le pin sylvestre surtout. Chêne vert, peut-être ? J’hésite encore. Sur la carte, la Sologne pourrait se comparer à une petite Finlande avec tous ses trous d’eau qui bleuissent l’espace. Ici, chaque propriété a son point d’eau, sa marre ou son étang. Le tout est gardé jalousement. Rarement vu autant d’avertissements et d’interdits. Que le promeneurs, soit prévenu : « Ici, c’est chasse gardée et propriété privée ! ». Sur le bas-côté de la route, une douille qui attend sa décomposition future dans quelques centaines d’années, est le plus sûr des avertissements. En Sologne, la chasse et la pêche sont des traditions.

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Étang de Sologne

Installé pour la pause de midi à l’étang communal de Vignelles, près de Jouy-le-Potier (je n’invente rien), je discute avec Jean, un pêcheur local. La soixantaine, ramassé, tendu comme une ligne de pêche, casquette vissée aux oreilles et le regard expert, le bonhomme me dit connaitre son affaire.  » L’eau est descendue fichtrement ces derniers jours », me confie-t-il, le regard scrutant la surface de l’étang. « Mais trois grosses pluies et tout cela reviendra à niveau ». « Faut juste qu’il pleuve, parce que là… » Huguette, son épouse, assise dans son transat, acquiesce. Jean reprend la main : « Le poisson ? On n’en a pas encore attrapé depuis qu’on est arrivé. Mais ce qui est sûr, c’est que si on n’a rien à 16H, on s’en va ! » et Huguette d’acquiescer  derechef.

Les eaux de l’étang sont désespérément calmes et moi, ça m’invite à la sieste. À l’ombre des aulnes, je fais mon trou en étendant mon tapis de sol.

[…]


17 juillet 2017

Nu comme un ver du Loiret, brin de toilette du petit matin sous la jeune chênaie où j’ai passé la nuit. J’admire, en me frottant le derrière des oreilles, la ténacité des araignées qui sans se laisser démonter, tissent et retissent leur toile inlassablement. Une épeire s’est échinée à ouvrager la sienne entre le guidon de mon vélo et le tronc sur lequel il est adossé. En bon naturaliste, je m’en veux un peu de mettre tout ça en l’air en reprenant la route.

En roulant vers Fontaine-en-Sologne, les bas-côtés me laissent entr’apercevoir des étangs tout asséchés révélant une terre argileuse craquelée sous l’effet de la canicule.

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Chambord

Chambord : passage obligé. On connait le château, François 1er, roi de France, ses chasses et tout le touintouin. Mais Chambord , c’est aussi, aujourd’hui, un domaine à la biodiversité riche et digne d’intérêt. Plaine autrefois marécageuse grouillante de moustiques et de fièvres, les bois ont gagné, peu à peu, et se sont répandus dans toutes les directions, poussés dans le dos, il est vrai, par des désirs de seigneurs et de rois. L’ONF aujourd’hui a réaménagé l’ensemble du parc et les couloirs d’eau qui alimentent les bassins aux perspectives versaillaises, donnent naissance à de belles roselières avec ses phragmites et ses roseaux dressés avec un aplomb insolent dans ce soleil cuisant de juillet. La Rousserole pointe de temps à autre le bout de son bec à qui sait l’observer et le Bruant n’est pas loin non plus.

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Parc du château de Chambord

Après Chambord, re-franchissement de la Loire et pause dîner à Mer. Le parc de la ville vaut le détour. Pas de chance pour moi, aujourd’hui, c’est la tonte mensuelle. Valse bruyante et disciplinée des tondeuses pour le bonheur des amateurs de silence. Près de la piscine communale, un immense cèdre du Liban planté en 1865 fait de l’ombre lui tout seul à une dizaine de familles.

À Saint-Denis-sur-Loire, les platanes de l’avenue qui jouxte le fleuve se dépouillent de leurs oripeaux d’écorces. Des morceaux de squames tombent sur l’asphalte de la route avec un bruit sec.

Retour sur la Voie verte qui est devenue maintenant une véritable autoroute pour vélo. J’y croise plus de vélo-randonneurs que je n’en verrai de tout mon séjour. La révolution est en marche et je signe la pétition.

Blois. La ville est un arrêt inévitable et j’ai l’impression que l’on s’est tous donné rendez-vous au magasin Carrefour du centre-ville. Le parcours (fléché intelligemment par les autorités) n’oublie pas de faire les détours nécessaires pour satisfaire le commerce et l’artisanat local. Le vélo-route est une affaire rentable et les pouvoirs locaux l’ont bien compris.

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Blois et pont enjambant la Loire

Après Blois, le tracé fait un joli détour et prend de la hauteur en quittant les bords de Loire. Chailles, Condé-sur-Beuvron, Chaumont-sur-Loire… plaines de tournesols qui boudent le soleil et vignes qui s’accrochent aux coteaux.

Je franchis la Bièvre (dont le nom nous rappelle la présence du castor à une époque ancienne). Des bandes de moustiques kamikazes me fouettent le visage en roulant. Le soleil termine sa course dans la Loire.

Arrêt pour la nuit en bord de fleuve sous un frêne blanc pelucheux. Dans les hautes herbes autour, senteurs de tanaisie, de foin et de lierre terrestre.


18 juillet 2017

10H10, c’est l’heure des Braves. Après avoir passé une heure à m’échiner à me couper la barbe avec des ciseaux à ongles, je prends enfin la route vers Amboise.

Ce matin, ça fait la file sur la Voie verte. Arrivé à Artigny, je croise Sylvana et Laurent avec leurs ânes, Ali Baba et Bourrichon. Marchant au pas et avec fière allure, les deux bêtes portent tout le barda nécessaire. Destination ? Le Mont Saint-Michel. Laurent m’explique qu’à l’allure du pas, c’est 15 km par jour, pas plus et c’est bien ainsi. Le couple à l’habitude de ce genre de voyage et me voilà rêvant d’une telle expérience avec l’animal. Ali qui est relié à Laurent par une longe, martèle le sol de ses pattes ferrées et donne le tempo au cortège.

[…]

Chaleur et vent chaud au menu. Je m’arrête fréquemment pour le ravito en fredonnant la chanson de Jeff Bodart « Boire, boire, boire »…

À Amboise, une boite à livres me propose Giono et son sublime « Que ma joie demeure ».

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Boite à Livres

Après Amboise, direction Bléré. Je quitte la Loire pour trouver, un peu plus loin, le Cher, qui baigne la ville. À l’ombre des peupliers, le vent souffle et vient arracher une branche à un grand peuplier.

Journée éprouvante sur le vélo. J’ai l’impression que l’air qui s’échappe de ma bouche est aussi chaud que celui qui y rentre.

Arrêt pour le soir à la Forêt domaniale de Loches. La poésie n’est pas toujours au rendez-vous.

Passage de gibier pendant la nuit, ça cavalcade dans les bois. Une martre a poussé un sifflement rauque derrière mon campement.

Lecture « à la frontale » des premières pages de « Que ma Joie demeure », édition de poche de 1959 : « Les hommes, au fond, ça n’a pas été fait pour s’engraisser à l’auge, mais ça a été fait pour maigrir sur les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes; s’en aller dans sa curiosité, connaître »

Tout est dit.


19 juillet 2017

Toilette du matin, repas de quelques fruits secs, un peu d’eau, salutations à la belle Nature et remerciements au lieu. Pour un peu, je déclamerais du Walt Withman !

Aujourd’hui, je quitte la Loire pour gagner le Parc naturel de la Brenne. La route vers Châtillon-sur-Indre bosselle gentiment, elle prend soin de mes mollets qui n’aiment guère être chauffés à blanc. La verdure sur les bas-côté est variée, j’y vois de temps en temps du fenouil. Signe que les pratiques agricoles changent.

Châtillon. Belle ville mais morte durant la pause déjeuner. Conseil du cyclo : si vous voyagez en France, ne sous-estimez pas la sacro-sainte importance de la pause de midi ! Moi, je ne fais pas le compte des heures et je me retrouve souvent coincé, en carafe. Je poireaute dans le centre-ville en attendant. Car c’est certain, le ravito est nécessaire sinon les jambes ne moulinent plus. À cela rien à faire. En attendant l’ouverture de la supérette, je suçotte les trois rondelles de saucisson qu’il me reste au fond de ma besace.

Le pic de chaleur d’hier est passé, le ciel a tourné la page. Ce matin, c’est un coup de tonnerre et un peu de pluie qui m’ont réveillé. Là, le temps est au gris mais est enfin respirable. Le vent apporte de temps en temps des averses histoire de rincer l’asphalte et de chasser la poussière.

Le parc naturel de la Brenne est en vue sur les coups de 16H. Tout est raison d’eau, tout est travail d’eau. Paysage fortement anthropisé, la réserve à poissons est considérable. Mais ici comme en Sologne, la canicule de cette année et surtout les saisons sèches de ces dernières années ont impacté la région. Les oiseaux en ont été les premières victimes. Moins d’oiseaux, moins de passages aussi.

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Étang Ricot – Parc naturel de la Brenne

De l’observatoire (grand chic) de la réserve et de l’étang de Ricot en bordure de parc, je ne vois décidément rien venir.

[…]

Arrêt à l’aire naturelle de la Gabrière. À 5 euros l’emplacement, je ne suis pas volé ! Dehors, Le vent se met à agiter les branches des arbres pour nous dire qu’il est bien là. Sur l’aire, je suis le seul campeur, je choisis un gros chêne en bordure  pour ne pas rester seul la nuit. Je lui lirai du Giono.

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Hirondelles rustiques tournoyant dans ciel de Brenne

20 juillet 2017

Des hirondelles rustiques ont élu domicile dans le bloc sanitaire. Elles vont et viennent donnant la becquée à leurs petits.

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Hirondelle rustique dans les douches du camping

Ce matin, ciel gris et venteux qui rend une atmosphère étrange et propre à la méditation. De belles trouées de lumières éclatent sur les points d’eau qui parsèment le Parc naturel. La route laisse un calme souverain rarement rencontré jusqu’à maintenant.

Dans la soirée j’ai quitté la Brenne et monte progressivement vers le Limousin.


21 juillet 2017

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La Creuse

Le paysage a changé. Subrepticement, sans que je m’en rende compte. Ca a commencé par la route qui s’est élevée peu à peu, par à-coups. Les montées se sont faites plus nombreuses que les descentes. En fait, c’est le corps qui sait avant l’oeil que l’horizon change. Puis la vue : les prairies à fourrage ont pris une autre coloration aussi, une autre senteur. Les herbes sauvages ont clamé leur présence et ce fut bon. Les champs ont laissé venir à eux des arbres-hommes qui ont quitté les haies denses pour se planter au coeur des cultures. Comme des sentinelles. Ces arbres ont fait appel à d’autres arbres encore et ils se sont mis en camaraderie, comme on le fait autour d’un feu. Serrés les uns aux autres, ça a donné des bouquets d’arbres et les hommes ont laissé faire. Ils ont laissé faire parce que le terrain s’élevait, parce que la charrue ne pouvait plus dompter ce sol qui s’empierrait. Alors les hommes ont regardé les arbres appeler la foule des forêt des hauteurs et ces arbres sont descendus, comme le gibier qui gagne les champs quand les hommes regagnent leur demeure.

En arrivant à Ladapeyre, je manque de peu de rouler sur un moineau jeté sur la route. Je flanque le vélo sur le bas-côté et je saisis l’oiseau en mains. C’est un moineau au bec costaud. Son corps est encore chaud, il ventile et son oeil me regarde droit. Je lui fais un nid chaud avec mes mains que je mets en boule. Il me pépie comme un remerciement. Puis l’oiseau n’est déjà plus un oiseau mais un corps de plumes sans vie. Il n’a pas fallu cinq minutes. Une dame vient à ma rencontre et s’inquiète de me voir assis là, dans l’herbe, en bord de départementale. Je lui montre l’oiseau dont la tête bascule. « Il en tombe pratiquement tous les jours, me dit-elle, la route et la circulation alors… » . Sa phrase se termine par un « alors » dont je dois deviner la suite. J’ai une grosse bulle de tristesse qui me remonte du coeur.

[…]

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Village perché de Crocq

Près de Crocq, je m’arrête sous une pessière qui fait châblis par endroit. Le sol est tapissé de mousses, qui remontent sans discontinuer sur le versant est. De l’autre côté de la route, c’est une hêtraie qui se donne , belle et luisante sous le soleil qui décline. L’endroit est beau, apaisant. Le sol est jonché de faines qui craquent sous les pas. Une couche épaisse et moelleuse toute trempée des averses de la journée. Le soleil claironne sur les fûts de hêtres tout blanc de lichens. A vingt mètres, sur la hauteur, une butte où fourmille la Formica rufa. D’une vitalité exemplaire, la colonie doit facilement contenir près de 100 000 individus.

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Un vieux châtaignier centenaire

Sous un hêtre torsadé un tapis de graminées fera ma couche pour cette nuit.

Ce matin, j’ai entendu le Loriot.


22 juillet 2017

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La chaîne des Puys – Tout à droite, le Puy de Dôme

Frôlant le Plateau des Mille Vaches, j’atteins par le nord-ouest la région des volcans.

Dominée par la chaîne des Puys, cette étendue d’Auvergne est verdoyante et donne envie de s’enfoncer dans ses sentiers qui surgissent çà et là en bord de route.

La chaîne des Puys, qui s’étend à l’ouest de Clermont est une chaîne complexe de volcans ayant fait leur apparition il y a près de 100 000 ans. Plus de 80 volcans alignés dans un axe nord-sud sur 32 km de long et 4 km de large. Leurs formes sont diverses et parfois insolites : cônes, dômes, protrusions ou maars. Autant de profils et autant d’histoires anciennes traduites dans la roche et perceptibles par le regard à l’œil quelque peu exercé.

Au loin et m’en rapprochant progressivement, le fameux du Puy de Dôme, emblème de l’Auvergne, point culminant de la chaîne des Puys. Cette protubérance rocheuse complexe, d’origine magmatique est constituée en fait de deux dômes accolés.

Pour la nuit, je me choisis comme point de vue le puy de Côme, tout couvert de forêt.

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Le puy de Côme

24 juillet 2017

La pluie est tombée une bonne partie de la nuit. La tente a tenu, j’en suis content. À mon retour, je penserai à féliciter le constructeur. Parfois, quand les éléments se déchainent et que ça se met à tomber dru, comme une bonne drache qui dure, les jointures souffrent et l’eau s’infiltre en goutte-à-goutte à l’intérieur de la tente pour le plus grand plaisir du campeur !

Mais cette nuit, rien. Ca a chu raisonnablement, par petites vagues successives. En somme, rien de bien méchant. Au matin, vers les 9H, la pluie a rajouté une dernière couche histoire de fêter ma venue en Auvergne.

En sortant de mon tipi versus Quechua, j’ai vu que les hauteurs étaient prises dans une bruine des sommets, une de ces fines bruines stagnantes qui s’accroche et qui a tendance à prendre ses quartiers pour la journée.

Malgré le petit crachin qui me tombait dessus, j’ai replié les bagages, ajusté le paquetage au vélo et j’ai repris la route.

À Allagnat, en croquant une amande pour me donner des forces, j’ai vu un Christ taillé dans de la pierre de lave. Je l’ai trouvé bien souriant et pas du tout en souffrance, ce qui m’a quelque peu rassuré.

Je passe le Col de la Moreno vers les 12H pour redescendre sur Orcival. Village classé parmi les plus beaux de France. C’est vrai que le coin vaut le détour : la cascade, la basilique et sa vierge à l’enfant, les traditionnelles boutiques de spécialités auvergnates (saucisson et fromage, en « veux-tu ? En voilà! ») et même une chocolaterie ! Orcival a vraiment tout pour plaire.

Je passe à l’office du tourisme pour quelques infos que j’espère utiles pour la suite de mon voyage. La jeune fille rondelette qui m’accueille est à 1 m de moi mais me parle comme si j’étais à l’autre bout de la place des Palais à Bruxelles. Est-ce le voisinage du silence des forêts qui fait que mon ouïe est devenue si sensible ?

Après Orcival , ça grimpe. Voilà qui remet clairement les pendules à l’heure. On est dans le pays des Volcans, tout de même ! Je souris en songeant à l’aphorisme du poète Reverdy : « Quand la vie est grave, il faut gravir ».

Je trouve dans l’ascension beaucoup de joies. Le paysage me réjouit pleinement avec ses vallonnements, son relief, ses variantes de vert. La route s’élève et avec l’altitude la nature prend un autre caractère : plus sauvage, plus varié, plus authentique. On respire mieux aussi.

Passage du col de Guéry (1268 m), je suis à la fête. Mon corps a retrouvé ses marques. La montagne, c’est, pour le cyclo, une tout autre façon de pédaler. Il faut davantage mouliner rond, doser son coup de pédale, veiller à la bonne trajectoire sur la route afin d’éviter les mètres superflus, positionner son corps au mieux pour une bonne tension musculaire et surtout, ce qui est le plus important, penser sa respiration.

Sur ma droite, la roche tuillière et ses cheminées basaltiques. Pure merveille géologique.

Je pourrais m’arrêter souvent pour les photos – ce que je ne manque pas de faire – mais le résultat ne me convainc guère. Difficile de traduire pleinement la réalité d’une vision.

Vers 17H, j’arrive à Mont Dore. La ville se love dans un cirque minéral coupé en deux par la Dordogne à peine naissante.

La légende raconte que la vertu des eaux du Mont Dore a été découverte par des légionnaires de César qui avaient vu que leurs chevaux avaient retrouvé leur souffle après s’être désaltérés aux sources chaudes.

C’est ces sources chaudes qui ont fait tout le succès de la ville. Le XIXe siècle fut son époque faste : Thermes au style néo-byzantin, casino, vieux cafés aux devantures art déco, parcs et promenades, hôtels – dont on devine encore le luxe d’antan – autant d’indices évidents de cette époque où l’on venait des quatre coins de France et d’Europe pour « prendre les eaux ».

Hôtel de Londres, face au parc de la ville, je sens comme un appel. La patronne qui m’accueille me fait l’article de son établissement et me propose une chambre pas cher avec petit-déjeuner. Wifi pour mon reportage hebdomadaire et un bon lit matelassé pour le guerrier. Sous la douche, je me sens l’âme du légionnaire romain et je me mets à chanter du Piaf dans les vapeurs chaudes de la cabine.

21H. Le soir tombe sur Mont Dore. Tout est fermé ou presque. Moment idéal pour repérer les boutiques pour mes achats de demain : couverture de survie et couvre-cou car la météo annonce pour les prochains jours de la pluie et une baisse des températures. Ici les boutiques « sport, rando et ski » ne manquent pas, Super Besse et ses pistes de ski n’est pas loin.

Au menu de ce soir, une pizza « auvergnate ». Pomme de terre, fromage et lardons… de quoi aller contre le vent!

Une info passe en boucle à la télévision de l’hôtel : incendies de forêts dans le Lubéron, le Var et en Corse. Ici, le panneau d’affichage de la pharmacie annonce treize degré deux et il pleut.


25 juillet 2017

Mont Dore finirait par me plaire. À condition qu’il ne pleuve pas tous les jours et que le froid ne s’y installe pas éternellement.

Je quitte mon hôtel et sa patronne bien sympathique et je m’équipe pour gagner les hauteurs. Mon objectif du jour : contourner le Puy Mary via Besse et descendre vers Condat.

Devant le supermarché de la ville, je rencontre André. André a 82 ans et fait encore de la rando « à pieds », me précise-t-il. Il accompagne, pour la semaine, son épouse qui suit une cure aux thermes. « Je suis un contemplatif » me dit-il, et je crois m’entendre. Lui aussi a pratiqué, par le passé, le voyage à vélo. « En France, principalement », insiste-t-il. Je le vois souriant, épanoui et encore plein d’entrain et me souhaite une vitalité comme la sienne quand j’aurais son âge.

Il est l’heure de remonter en selle. En zyeutant sur la carte, je me trompe de route et refais la route du col de la Croix Morand (1491 m) que j’avais déjà emprunté hier. Je prends les choses comme elles viennent et finalement, cela ne sera pas pour me déplaire car je ferai la rencontre d’Alain, un cyclo montois qui passe ses vacances dans la région.

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Vue depuis le col de la Croix Morand

J’évite Chambon en passant par Monaux ce qui me permet d’admirer des hauteurs le magnifique lac de Chambon qui s’étale, là-bas, tout au fond de la vallée.

La grande Gentiane tristement délaissée par les ruminants des estives, la Vipérine aux étamines en langues de serpents (et censée, disait les anciens, soigner les morsures de vipères), la Knautie que butine l’Azuré, le Gaillet jaune pour les fonds humides, le Millepertuis aux mille vertus, le lotier corniculé qui nourrit abondamment les abeilles sauvages, l’Épilobe, la pétasite et les fougères pour les coins ombragés et les versants nord, tant d’herbes profiteuses des moyennes altitudes et qui s’épanouissent ici pleinement sous les volcans tutélaires. Emprunter une route de montagne à vélo, c’est un peu herboriser : on a tout le temps d’observer ce qui pousse sur les bas-côtés et d’en faire l’inventaire buissonnier.

Ce soir, je me suis arrêté dans la longue descente vers le village de Condat. J’ai planté ma tente tout à côté d’un tapis de Myrtilles. Un hêtre aux branches maitresses couvertes de mousses me projette son ombre bienfaisante. En contre-bas, j’entends mugir la rivière.


26 juillet 2017

Ce matin, la boulangerie de Condat est prise d’assaut par trois punks sans chien. Il ne me reste plus qu’à faire le choix entre un beignet et un sandwich fourré au brie. Détestant faire de choix, j’ai pris les deux.

Le route vers Riom chevauche les volcans. En voiture, cela doit être relativement plaisant. À vélo, lorsqu’il fait chaud et qu’on est moins en forme que la veille, ça l’est moins.

Attente interminable dans le centre-ville de Riom : le supermarché local fait sa pause de midi.

Après Riom, route vers le col d’Aulac en passant par le joli et discret village de Trizac. Dans la montée, étonnant panorama sur le Mont Dore. Que c’est impressionnant de voir ainsi le chemin parcouru depuis la veille !

Traversée de la forêt domaniale de Marilhou (comme dans la chanson de Gainsbourg) et arrivée au col d’Aulac. Les bonnes sensations sont revenues. Vue plongeante (et plus que saisissante) sur la verte vallée du Falgoux.

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Vallée du Falgoux

Après la petite bourgade de la Chaze et le franchissement du Mars, j’entame la montée vers Puy Mary. Au sol, peinturluré en blanc , les noms de quelques coureurs connus. Le massif aurait-il vu passer cette année la caravane du Tour de France ? Les premiers kilomètres défilent dans une fraicheur idéale pour une ascension mais le temps change et la bruine s’installe rendant la visibilité à vingt mètres difficile. Les derniers kilomètres virent à la souffrance : le pourcentage de la côte est passé à 15°/. Une véritable épreuve pour un cyclo-randonneur chargé. Je dois m’arrêter à plusieurs reprises pour reprendre mon souffle. En moins de 15 minutes, la bruine est passée à la brume. Les sons sont étouffés et on ne distingue plus rien au-delà de cinq mètres. J’ai sorti mon chasuble fluo et mon K-way – car la pluie s’est invitée pour l’occasion. Je croise les orteils en espérant atteindre un jour le sommet. Derniers mètres : j’entends des voix qui sortent du brouillard. Au sol, des lignes blanches indiquent les emplacements parking. Dernière ligne droite et passage fatidique du Pas de Peyrol (1582 m). J’ai atteint le sommet.

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Montée vers le Pas de Peyrol

À ma suite, un cyclo (équipé léger, en vrai pro) me félicite : « Vous avez pris la route la plus difficile, bravo! ».

Au sommet, je ne m’éternise pas. La température frise les 9 degrés. Avec un corps suant d’effort, je risque le refroidissement assuré. Je rajoute une couche et entame la descente tout droit vers Aurillac.

Aurillac. J’ai forcé un peu pour y arriver. Il est tard mais j’ai quand même pu dénicher un camping au coeur de la ville. En arrivant à destination, mon compteur affiche 110 km. Je suis resté plus de 6 heures sur mon vélo.


27 juillet 2017

Aujourd’hui, c’est décidé : on repose les jambes ! Pour les ménager au mieux, je leur propose un petit tour à la librairie du centre-ville. Après avoir fait huit fois le tour des rayonnages, je ne parviens à me décider sur rien et je ressors bredouille. J’ai fait « buisson creux », comme on dit en Sologne.

Vers 15H, mes jambes ne tenant déjà plus en place, je reprends la route vers le sud. Évitant la grand route, trop bruyante et surtout particulièrement dangereuse, j’opte pour une petite départementale campagnarde qui se faufile à travers l’arrière-pays.

À Labrousse, dans la descente qui m’achemine vers Mur-de-Barrez, je repère un sentier qui s’éclipse sur la gauche de la route. La piste s’embroussaille et semble ne plus avoir connu de passage depuis fort longtemps. Estimant l’endroit suffisamment en retrait par rapport à la route, je décide de planter ma tente à même le chemin.

À côté de l’emplacement que je me suis choisi, un beau rond de sorcière a fait son apparition.


28 juillet 2017

Menu du jour : les gorges de la Truyère.

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La Truyère

Il y a quelques années, j’avais traversé la région avec un cyclo-randonneur québécois que j’avais rencontré à Saugues. Nous allions alors tous deux vers le Sud-Ouest et nous avions décidé d’un commun accord de faire route ensemble. Pendant trois jours, nous avons donc exploré – en long, en large et de travers, cette magnifique région du Cantal. Beaucoup plus expérimenté que moi, j’avais eu à coeur de suivre mon compagnon de périple et je m’étais littéralement cassé les pattes dans les côtes pentues de la Truyère. Ne respectant pas mon propre rythme, j’avais forcé mon allure et je l’avais payé comptant. La douloureuse montée vers Saint-Amans-des-Cots avait parachevé le travail de sape et il m’avait fallu plusieurs jours pour m’en remettre.

Mais le passé est le passé et dans le vélo, comme dans le reste, il ne faut surtout pas rester sur une mauvais souvenir !

N’ayant, cette fois-ci, plus personne à suivre et étant pleinement maître de mon tempo, je me suis laissé descendre vers les gorges et l’impressionnant barrage hydro-électrique de Sarrans. Au final, la montée qui m’attendait vers Sainte-Geneviève fut des plus agréables et je me suis même surpris à pousser la chansonnette dans les derniers lacets. Preuve irréfutable de mon bon état de forme du moment.

À Sainte-Geneviève, je fais la connaissance de Jean-Pierre, un Parisien passionné de vélo et de rando. La bicyclette, il en connait un fameux rayon ! Expert en mécanique, toujours au courant des dernières nouveautés, il décortique avec moi les pièces et les éléments indispensables à une bonne randonneuse. Avisant mon inclinaison de selle quelque peu non conventionnelle, il me propose de la réajuster sur-le-champ. Ce qu’il fait sans tarder en sortant de son étui son jeu de clef Halen. « Si tu viens à Paris, passe me voir au local Vélorution : on y répare les bécanes et la cotisation n’est pas cher! ».

Après Sainte-Geneviève, le paysage autour de moi a pris une tout autre tournure. La verdure qui m’avait accompagné tout le long de mon périple au coeur du pays des puys a fait progressivement place à de vastes carrés de pâtures enserrés par des murets de petites pierres dressées. Des pâtures immenses, jaunes de soleil, balayées par les vents des hauteurs où paissent, pleines de grâce et de volupté animale de magnifiques vaches à la robe fauve et aux yeux noirs. Sans m’en rendre compte, j’avais quitté les gorges et le Cantal pour arriver dans le pays des Monts d’Aubrac.

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La belle Aubrac à la robe fauve et aux yeux maquillés de Khôl

La route s’est alors tendue vers le ciel comme un arc. Les villages se sont fait rares. Les arbres aussi. Le ciel a frôlé la terre et la solitude s’est engouffrée entre les deux. L’Aubrac, c’est un peu un paysage d’Irlande ou du nord de l’Écosse, de ces îles Lewis et Harris ; avec la terre, le ciel et le vent comme uniques personnages. Ici, on voit tout et de loin. On sent arriver les nuages et les humeurs du temps. Et puis, jetés, çà et là, comme des dés sur un vaste tapis d’herbes sèches, des pierres travaillées de lichens et de mousses qui semblent être là depuis des temps immémoriaux.

Parmi les nombreux lichens qui ici s’en donnent à cœur joie, je pointe le « lichen géographique ». Étonnant être que ce spécimen mi-végétal, mi-champignon. On peut déterminer chacun de ses spécimens en mesurant scrupuleusement la grosseur de ses thalles qui croissent de 0,1 à 0,6 mm par an. Les plus gros exemplaires remontent aux dernières glaciations… c’est vous dire !


29 juillet 2017

Cette nuit, j’ai dormi à quelques centaines de mètres à peine du col de Bonnecombe. Sur une étendue pelée de partout, j’ai trouvé un petit îlot d’épicéas. Pas âmes qui vivent à plus de deux kilomètres. Calme plat sur les hauteurs. Mon matelas était d’aiguilles avec les bonnes odeurs de résineux qui vont avec. Au-dessus de ma couche une myriade d’étoiles ont fêté mon vingt-cinquième jour de route. Ce matin, une petite grenouille rousse m’a réveillé vers le sept heures en grattant à la toile en estimant qu’il était temps que je quitte les lieux.

Sur la carte, mon itinéraire du jour est tout tracé : Gorges du Tarn et Cévennes en point de mire.

Du plateau de l’Aubrac aux Causses (prononcez « cosses »), je joue au yoyo avec l’altimètre. Descendre et remonter, telle est la destinée des hommes ! Le tout , c’est de ne pas rester trop longtemps dans les creux, ce n’est jamais bon pour le moral !

Après Saint-Germain du Teil, descente vers le Lot qui s’en va vers son Sud-Ouest. Moi, je continue plein sud et c’est la montée vers les Causses de Sauveterre, avant-goût des Cévennes.

Changement géologique : c’est est fini des roches magmatiques, bonjour les roches sédimentaires. Les horizons de calcaire font leur apparition en bord de route et c’est toute une gamme de couleurs qui s’exprime. En quelques kilomètres , je passe du blanc laiteux au rouge sang et à l’ocre.

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Les gorges du Tarn

Descente vertigineuse sur le Tarn et ses célèbres (et très touristiques) gorges. La moitié de la France s’est donnée rendez-vous à Sainte-Énimie. Juilletistes et aoutiens mélangés, que du beau monde ! Ca pétarade sur la route et ça plonge dans le Tarn. Je cherche désespérément un petit coin à l’ombre et au calme pour mon sandwich de midi.

14H. Montée vers les Cévennes et traversée de la Causse Méjean. Le pin noir fait son apparition sur les versants. En descendant vers Meyrueis, c’est le buis qui s’annonce par bouquets ceinturant la corniche.


30 juillet 2017

C’est un fait : prononcer « Meyrueis » est plus facile que de l’écrire.

À l’Office du Tourisme de la ville – où je tente d’envoyer mes derniers extraits de notes de voyages, les préposées  s’affairent à satisfaire les demandes du public en ce dernier dimanche de juillet.

Moi, assis sagement sur un tabouret dans la petite salle d’exposition attenante à l’officine, je patiente entre deux captations du réseau. Un rayon de soleil passe à travers la porte plus facilement que les ondes wifi et je mets un temps considérable avant chaque envoi sur mon site. D’une oreille attentive, j’écoute les remarques d’une animatrice sur la problématique du loup des Cévennes. Une famille de Rouen s’en était étonné en voyant le nombre d’affichettes le long de leur rando sur le massif.
– Oh, vous savez, c’est un grand débat et je n’ai pas vraiment d’avis tranché… Ce qu’il faut savoir, c’est que le loup est bien présent et a déjà fait quelques dégâts par chez nous. La plupart des bergers de l’Aigoual ne sont pas pour sa présence sur la montagne. Mais, c’est comme dans tout, y a du bon et du moins bon !
Les propos de l’animatrice me renvoient à mon passage sur le Massif de l’Aubrac et aux nombreuses références encore bien présentes à la « Bête du Gévaudan » qui avait sévi dans la région au XVIIIe siècle. Légende ou fait avéré ? Un loup fut bien abattu et les atrocités cessèrent mais des zones d’ombres subsistent toujours.
[…]

Vers les 11H, j’entame enfin l’ascension vers le Mont Aigoual. Le Mont Aigoual fait partie d’un ensemble constituant le Parc national cévenol. Riche et contrasté, il comprend près de 2000 km2 de forêts dont une bonne majorité de feuillus. Un Parc national qui a connu une histoire bien mouvementée. Semblable à celle qui affecta la plupart des forêts du pourtour méditerranéen. Cette histoire prend racine dans les pratiques humaines ancestrales qui consistaient (et qui consiste encore pour une grande majorité des peuples à travers le monde) à exploiter le bois pour les commodités de vie. Au premiers temps de l’Aigoual, les arbres ne manquaient pas, ils recouvraient densément tous les versants du massif apportant aux hommes vie et revenus. Peu à peu, sans considérer l’intérêt d’un reboisement en contre-partie des coupes faites, on jugea intéressant, sur les espaces dégagés d’y faire paître ovins et caprins. Une pratique agro-pastorale vit le jour. Ce commerce enrichit les bourses et fit vivre des centaines de familles. Cet agro-pastoralisme n’était pas neuf, loin de là, pratiqué depuis les temps anciens de Judée jusqu’en Ithaque, il avait forgé les hommes et continuait à les nourrir. Cependant, dans les Cévennes, cette pratique devenue tradition prit des proportions déroutantes.
La montagne restant la montagne, les saisons froides ne permettaient pas aux troupeaux de connaitre les joies du pâturage mais chaque été, lorsque le temps des transhumances arrivait, c’étaient des centaines de milliers de bêtes qui montaient aux estives et s’en allaient se répandre sur chaque m2 de terre disponible. l’Aigoual moutonnait littéralement. Grouillant sur ses flancs, la montagne remuait et vivait des appels des bergers et des sons des cloches du bétail. À cette époque, nous sommes déjà à l’aube du XIXe siècle, la démographie exigeait toujours plus de bois et des coupes se multiplièrent laissant la montagne à nu.
Arriva ce qui devait arriver car on ne prend pas à la montagne sans un jour payer sa dette. Et cette dette ne tarda pas à arriver. Quiconque s’est un jour aventuré sur ses versants au printemps a, un jour ou l’autre, essuyé ce que les gens d’ici appellent les pluies cévenoles. Des précipitations dantesques qui peuvent vous faire tomber dessus en une journée ce qu’il pleut sur Paris en plusieurs mois. Ces fameuses pluies érodèrent les sols, mirent à nu les terres, entraînant des coulées de boue et des affaissements de terrain.
Un homme pourtant rompit le destin dramatique attendu. Un jeune garde-forestier du nom de Georges Fabre jugea qu’il était temps de remédier à cette tragédie et décida de la nécessité d’un reboisement. Aidé par l’administration et un jeune agronome forestier de Montpellier, il parvint à convaincre les bergers et les propriétaires des terres de la nécessité de planter des arbres. Les chiffres sont incroyables et nous font perdre la tête : entre 1875 à 1930, on replanta ainsi près de 18 millions d’arbres qui , eux -mêmes devenus matures, donnèrent naissances à d’autres arbres. La forêt d’Aigoual renaissait de ses cendres. Le massif était sauvé.

En atteignant le sommet, de nombreux indices de cette époque montrent encore l’incroyable aventure que fut cette campagne de reboisement. Ainsi, en suivant la route principale d’accès au sommet, vous pourrez voir (et explorer) les deux magnifiques  arboretums de la Foux et de l’Hort de Dieu qui favorisèrent l’observation des essences qui se comportaient le mieux sur les versants de la montagne.
[…]
En hésitant sur la route à prendre pour atteindre le sommet, je fais la rencontre de Pascal qui me servira de guide pour les derniers kilomètres. Pascal s’en vient de Montpellier à vélo et, comme moi, gagne le sommet du mont. Pédalant côte-à-côte, il m’informe des différents points intéressants à savoir sur le Mont Aigoual. Au sommet, face à l’incroyable vue qui nous attend, Pascal me propose un verre de Caussenarde, une bière locale brassée dans l’Aveyron et qui, comme son nom l’indique, fait référence aux Causses. Sous les conseils de mon guide du jour, je visite aussi l’étonnant petit musée consacré à la météorologie et situé à la pointe du Mont. Une exposition tout en images nous révèle les paysages somptueux du massif en toutes saisons. Tandis que je laisse Pascal redescendre vers Montpellier, je prends la route vers Saint-Jean-du-Gard en empruntant la célèbre route de la corniche des Cévennes.

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Sommet du Mont Aigoual

[…]


31 juillet 2017

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La châtaigneraie cévenole

Cette nuit , j’ai dormi sous les châtaigniers. Troncs torsadés et filandreux, branchages jaillissants comme des fontaines, sol schisteux aux reflets argentés, j’ai décidément variés mes couches ces dernières semaines, ce qui me ravit pleinement. Mais la châtaigneraie qui m’accueille est bien trop broussailleuse pour être encore exploitée. La forêt part en taillis, le sol est encore jonché de châtaignes de l’automne dernier et les seuls à en profiter vraiment sont les cochons sauvages, que je vois ça et là, gardiens farouches mais non moins partageurs de ce joli coins désormais délaissés des hommes.

Route de la Corniche. Cette voie d’accès est une ancienne route importante entre le Gévaudan et le Languedoc, une de ces anciennes drailles (par « draille », il faut entendre, un sentier utilisé par les bergers dans la transhumance). Autrefois pratiquée pour mener les brebis aux estives, la route de la corniche a très vite été rebaptisée « route royale » étant donné le grand intérêt de ce chemin comme route de jonction.

Saint- Jean- du-Gard, arrêt rafraîchissant à la fontaine de l’avenue principale. Une fontaine qui, d’après la légende, accueilli l’écrivain Robert Louis Stevenson et son ânesse, Modestine lors de leur voyage dans les Cévennes. Le romancier terminait ici son long périple, par monts et par vaux, et en tira un ouvrage qui fut publié sous le titre de « Voyage avec un âne dans les Cévennes ».

À quelques pas de la fontaine, de magnifiques platanes donnent leur ombres a des jeunes qui batifolent.

Direction le Rhône via Alès. Dans la plaine, la chaleur vous submerge à pleines brassées et pédaler devient un acte héroïque. À quelques centaines de mètres du village de Navacelles, je décide de jeter l’éponge pour aujourd’hui. J’avise un sentier qui jouxte une prairie laissée en jachère. Des arbres enserrent le petit lopin de terre. Un endroit discret et un peu à l’écart, idéal pour mon bivouac.

Dans la nuit qui vient, j’assiste aux va-et-vient des chauves-souris au-dessus de ma couche.


1 août 2017

Ce matin , je roule au coeur du Midi. La végétation montagnarde et tempérée des derniers jours laisse clairement place à une végétation méditerranéenne qui a su s’adapter au cours des siècles aux chaleurs, à l’aridité et à l’avarice des précipitations. Autour de moi, c’est une profusion de plantes, d’odeurs sèches, de couleurs non encore vues et perçues jusqu’à présent qui s’offrent à moi. Les arbres méridionaux sont bien là : Cyprès d’Italie, Oliviers, Cytises, Chênes verts, Buis, Pins parasols qui étalent leurs prodigieuses ramures sur le bord des routes.

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Agave américain et Cyprès d’Italie

Après Lussan, c’est la pleine garrigue. La végétation se fait arbustive et buissonneuse. L’herbe n’est plus. Le sol est jaune de graminées et de plantes rases. La cigale s’en donne à coeur joie dans les branches hautes. Ses stridulations occupent le plein champ de l’espace sonore, je suis plongé dans un chant de chuintements entêtants entrecoupés par moments de courts instants de silence.

Bagnols-Sur-Cèze. Arriver à Bagnols à vélo, le comble pour le cycliste que je suis ! À une terrasse où je m’arrête pour une pause rafraîchissante, je lis la Une du Dauphiné qui titre : « Chaleur, Sécheresse, Incendies : l’été de tous les records ». Je me dis qu’il faut être un peu fou pour entreprendre le voyage que je fais.

Sur une placette de la ville, je repère la vitrine d’un bouquiniste et je passe près d’une heure de plaisir – au frais – à farfouiller dans la somme astronomique de livres jetés là, pêle-mêle, dans cette véritable caverne d’Ali baba livresque. Sous une pile de vieux bouquins poussiéreux et brunis par les ans, je mets la main sur « Le chant de soi-même » de Jean-Pierre Otte et au deuxième niveau d’une étagère quelque peu branlante, c’est « Histoires de volcans » d’Haroun Tazieff qui attire mon regard. Quelques euros déboursés et de la lecture pour le voyage.

Après Bagnols, la route file plein est vers le Rhône, carrefour de toute vie. La circulation se fait plus dense, plus nerveuse, je me dois d’être prudent pour deux car les températures au-dessus de 35° ont fâcheusement tendance à faire chuter les réflexes de bonne conduite des automobilistes autour de moi.

Le Rhône, grand fleuve de France et aussi source d’énergie. Fleuve autrefois puissant et souvent caractériel et désormais dompté et quelque peu assagi. Sur ses bords anciennement riches de limons déposés par ses débordements, poussent aujourd’hui routes, zones industrielles et centrales nucléaires.

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Le Rhône à Caderousse

Centrale nucléaire. Deux mots qui font frémir et il y a de quoi. La route qui est censée me faire passer de l’autre côté de la rive longe sur près de trois kilomètres un impressionnant centre de recherche atomique. Tours, hangars, casernements tenus hors d’atteinte du quidam curieux par un haut grillage de barbelés. « Zone interdite – Danger de Mort », lit-on clairement sur les panneaux suspendus ça et là autour du vaste complexe. Le parc nucléaire français, c’est 19 centrales dont un grand nombre le long des grands fleuves. Le Rhône donne sa part au refroidissement de l’atome et malgré les soins que l’on consacre à la sécurité et à la maintenance de ces différents sites, je n’ose pas trop imaginer ce que serait ce coin-ci de France si un accident survenait.

Sur la route d’Orange, je vois rouge : une escouade de camions-pompiers fait route vers la montagne. Des engins grondants et impressionnants par leur hauteur et la puissance de leur moteur, s’en vont combattre le feu qui se propage quelque part sur les massifs. Dans le ciel, pas de canards sauvages mais deux canadairs.

Ce soir, campement au bord d’un des affluent du Rhône, à la lisière d’une bambouseraie.

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Mante religieuse sur un rayon de la roue arrière de mon vélo

2 août 2017

Journée éprouvante. La chaleur s’est accrochée à moi comme une sangsue des marais et j’ai eu bien des difficultés à m’en débarrasser. Collante et oppressante, elle m’est tombée dessus dès les premiers coups de pédales. Impossible de rouler plus d’une heure sans s’arrêter pour se désaltérer ou chercher un peu d’ombre.

Une chaleur terriblement accablante qui affecte l’organisme et le moral aussi. Le coup de pédale est une épreuve, les montées raides, un supplice. Je dois prendre sur moi pour faire avancer ma mule à deux roues.

L’eau bue s’échappe presqu’aussitôt par tous les pores de la peau. Une suée abondante qui vous ruisselle à l’effort et vous saline tout le corps.

Heureusement, l’eau ne manque pas. Chaque petit village, aussi modeste soit-il, a son cimetière attitré. Un point d’eau – souvent de l’eau bien fraîche – vous y attend à l’ombre des Cyprès et des Agaves.

Cependant, en transpirant, vous perdez aussi bon nombre de sels minéraux régulateurs et indispensables dans le sain fonctionnement de votre vitalité. Sans eux, vous êtes HS. Il faut donc compenser en mangeant salé (même si la faim ne vous vient pas). Un petit cube de bouillon aussi, le soir, dans une soupe de légumes improvisée au camping gaz peut vous remettre d’aplomb pour le lendemain.

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Uchaux

Uchaux. Petite bourgade tranquille sur la route de la Drôme provençale. Un nom bien de circonstances à lire le panneau d’affichage électrique que la ville a disposé au sortir de l’entité : « Uchaux – Canicule – Alerte orange ».

À la chaleur s’est ajoutée – en tout début de matinée – une douleur musculaire, un vilain froissement de l’épaule droite au moment où je me préparais à partir. La cause ? Un mauvais geste en voulant saisir le vélo trop précipitamment. Une douleur que je sais momentanée. Je dois veiller à l’avenir à être plus attentif à ces mouvements que je fais un peu trop machinalement.

Après le vieux village de Grignan qui annonce les villages drômois des hauteurs au style italien, je découvre mes premiers champs de lavande. Les fleurs ayant déjà été récoltées, il ne reste plus que les plants alignés, en touffes et rasés à la prussienne.

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Champ de lavande

Sous la chênaie qui sera ma chambre pour la nuit, j’observe, couché sur mon tapis de sol et tête en l’air, la sarabande de deux écureuils qui voltigent de branche branche en ombre chinoise.

Des Genévriers poussent entre les pieds des Chênes. On devine déjà leurs fruits, petites baies bleu-noir dont on parfume choucroute et bières. Autrefois, quand les épidémies s’abattaient sur les villages, touchant hommes et bétail, on faisait brûler des rameaux de l’arbre afin d’assainir les maisons et les étables. Cela rendait une fumée épaisse et piquante qui chassait démons et sorcières.


3 août 2017

Démarré un peu plus tôt aujourd’hui pour pouvoir joindre Crest avant les grosses chaleurs du jour. Mon bras droit est toujours douloureux. J’arrive à peine à le lever à l’horizontale. Tenir le guidon du vélo va être une vraie prouesse.

Crest : porte d’entrée du Diois. Ville-phare du Val de Drôme. Crest se voit de loin avec sa tour médiévale de plus de 52 mètres (une des plus hautes de France). Plantée sur une arrête rocheuse, dernier vestige d’une citadelle autrefois imprenable.

Crest est une ville qui a de la chance : la Drôme coule à ses pieds et ses habitants peuvent, à tout moment du jour, s’y baigner ou y venir chercher un peu de fraîcheur sous ses peupliers de rives. L’eau y est translucide, avec des reflets vert azur étincelants dans des miroitements du soleil. Ses berges qui s’élancent vers les eaux comme autant de mains bienveillantes, sont couvertes de pierres blanches calcareuses, arrondies par les assauts répétés des eaux.

Crest, c’est aussi une région accueillante et qui ose les transformations et fait le pari de l’écologie. Ici, plus qu’ailleurs en France, on ne compte plus les alternatives citoyennes, les commerces équitables et les initiatives solidaires ou prônant le développement que l’on dit « durable ». On tente aussi, et ce n’est pas une mince affaire, de remettre l’humain au coeur de la ville.

Mais il est vrai qu’en déambulant dans ses rues, on s’y sent bien. On récolte plus de sourires et de « Bonjour » qu’ailleurs.

Aujourd’hui, concours de circonstances, la ville accueille son festival de jazz annuel et c’est toute une ambiance musicale aux notes cuivrées et rythmées qui vous chatouillent gentiment les tympans aux détours des ruelles de la vieille ville.

Près de l’Office du Tourisme, un jazz band répète des morceaux aux connotations jamaïcaines et de l’autre côté de la Drôme, tout à côté du stade de foot et du camping où j’ai décidé de m’arrêter, c’est un groupe instrumental qui s’accorde pour le concert du soir.

[…]


4 août 2017

Pour fêter mon premier mois de voyage, je décide de prolonger mon séjour à Crest et de passer chez le barbier pour un relooking de circonstances. Ma dernière coupe de barbe aux ciseaux à ongles n’ayant pas été très heureuse, il était temps de m’offrir un beau rasage et une coupe de cheveux dans les règles de l’art. Même si ma toison capillaire s’achemine plus vers le Mont Pelé que vers les forêts équatoriales, je ressens quand même le besoin d’une petite touche de coquetterie et d’attention vis-à-vis de mon humble personne. Et par les temps caniculaires qui courent, un petit rafraichissement pileux ne fera pas de tort !

La veille, en arpentant la rue de l’Hôtel de Ville à Crest, j’avais été interpellé par une devanture : « Gaëtan et Stéphane Presti – Barbiers et coiffure masculine. » Au cours de mes précédents voyages, j’avais eu l’occasion à quelques reprises en Turquie et en Italie notamment, de me trouver devant l’une ou l’autre de ces boutiques proposant rasage et coiffure mais jamais je n’avais eu l’occasion de franchir le pas.

Aujourd’hui, c’est le bon jour et j’entre donc. Le salon est exigu, à peine 4 m2 équipé à l’ancienne avec deux sièges de cuir vert. Aux avant-postes, ciseaux aux doigts, le père et le fils Presti. Passés Maîtres dans l’Art de la coupe des crânes chevelus (ou en passe de se dégarnir). Ne s’occupant que de la gente masculine, ils reçoivent matin et après-midi (et ce jusque 19H, ce qui est assez remarquable pour la région, il est important de le signaler).

Les clients, pour la plupart des habitués, parfois quelques touristes, souvent âgés et coutumièrement taiseux.

Le doigté est sûr, le geste précis, le coup d’oeil appuyé. Entre deux sonneries de téléphone, le fils fignole de près la barbe rousse d’un trentenaire impassible aux allures d’Ignace de Loyola. Sur l’autre siège, près de la porte d’entrée, maintenu du regard et de la main par le père Presti, un quinquagénaire sportif assiste satisfait à la petite touche finale : eau fraîche dans les cheveux et massage du cuir chevelu d’une coupe dont on devine l’allure drue et barbaresque désormais disciplinée et ramenée à sa plus simple expression.

« Ce matin, ça défile et ça ne traine pas ! « , me dit mon voisin complice et en attente, comme moi, de passer sous le feu du rasoir.

Les ciseaux cliquètent en cadence, l’heure tourne, des passants s’arrêtent curieux et mettent leur nez à la vitre. L’air à l’intérieur est frais : le climatiseur ronronne à plein rendement. Je patiente un peu en lisant les dernières lignes du « Chant de soi-même » de Otte qui nous raconte les rites initiatiques des peuples premiers.

En parlant de rites, je vais en passer un fameux. Ca sera pour moi une première : m’en remettre tout entier à la lame d’un barbier, au savoir-faire et à l’expérience de l’ancien. Car je le devine du moins, c’est le père Presti qui va s’occuper de mon cas.

11H et des poussières, c’est mon tour. Et comme je l’avais pressenti, c’est le père Presti qui m’invite à monter sur son siège. Le bonhomme frise les quatre-vingt ans mais semble parfaitement maîtriser son affaire. En deux plumets talqués et trois coups ciseaux, il a déjà pris les mesures de mon crâne et entamé la face est. En dix minutes à peine, les quatre coins cardinaux sont réglés. Mes cheveux coupés, ma nuque dégagée, la tête éclaircie comme une coupe de sous-bois, fringuant communiant prêt pour la messe de midi.

Reste la barbe. Quand je lui ai signifié mon désir d’un rasage complet, j’ai perçu dans son regard bleu drômois, comme un petit plaisir non feint.

Secouant le tablier qui me couvrait les épaules, il a incliné le siège en arrière et a préparé sa mousse au blaireau. Patiemment et méthodiquement, il m’a couvert le visage et le cou d’une chaude mousse odorante. Il a répété le geste à plusieurs reprises avant de se lancer adroitement dans la coupe à la lame.

Une lame qu’il a appliqué à même la peau, inclinée avec une précision chirurgicale. D’une main, il tendait ma peau, de l’autre il rasait.

« C’est la première fois ? » me dit-il, alors qu’il s’attaquait à la gorge. Je voyais bien qu’il connaissait déjà la réponse. Il m’expliqua alors que cette pratique, à son plus grand désarroi, ne se faisait malheureusement plus aujourd’hui. Contrairement en Italie (pays de ses parents) où il est coutume – encore aujourd’hui – d’aller chez le barbier.

Il rasa une première fois, puis une seconde. Passa mon visage à la pierre d’alun légèrement humidifiée afin d’adoucir le feu du rasoir, m’appliqua une serviette chaude et humide en tapotant légèrement et termina par m’enduire le cou et les joues d’une petite touche de lotion hydratante et adoucissante.

Dans le miroir du salon des Presti, j’avais rajeuni de dix ans.

[…]

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La Drôme à Crest

5 août 2017

Mon épaule droite est moins douloureuse aujourd’hui. En tout cas, mes gestes sont moins éprouvants et me font moins grincer des dents. C’est bon signe. Je vais pouvoir reprendre plus ou moins sereinement mes pérégrinations et entamer un nouveau chapitre dans ma découverte des forêts de France avec la montée sur le plateau du Vercors.

Le Vercors, c’est un peu comme si le Bon Dieu s’était pris d’une petite de colère lors de la création de la carte de France (allez savoir pourquoi) et qu’il aurait tapé du point sur la table mettant en suspension dans les airs tout un pan du sud-est de l’Hexagone. En fin de compte, Il aurait trouvé ça joli, ce petit bout de terre planant dans les cieux, et Il l’aurait laissé comme ça suspendu comme Jésus sur sa Croix. Un massif né d’un coup de sang du Créateur.

Mais la géologie a d’autres explications, plus rationnelles et scientifiquement validées par les experts – que je vois déjà froncer des sourcils en lisant mes élucubrations comico-spirituelles.
[…]

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Vallée de l’Omblèze

Aujourd’hui, le Vercors se partage entre agriculture (dans les vallées ou les plateaux accessibles) et sylviculture (sur une grande partie de son territoire). Le tourisme a aussi sa part du gâteau et on ne compte plus les passionnés de sport en plein air, les randonneurs crapahutant bâtons en mains, les sportifs aux tenues improbables, les amoureux des beaux espaces (oui, il y en a encore), les contemplatifs transats ouverts et les motards sur grosses cylindrées.

Si vous voulez monter sur le Vercors, vous n’avez guère le choix : trois chemins d’accès au massif. Grenoble, Valence ou le Diois. Moi, j’ai choisi la voie la moins fréquentée et la plus éprouvante aussi à emprunter à vélo. De Crest, plein est vers Aouste puis route vers Cobonne. Ca monte d’abord légèrement, pas de quoi fouetter une vache drômoise. Après Cobonne, montée plus soutenue vers Gigors. Cette limite franchie, place aux spécialistes, aux fous ou à ceux qui ont quelque chose à expier. Étant un peu des trois, je juge ma présence tout à fait adéquate. Grimpe donc, forçat de la route !

À Gigors, Romain me rejoint dans la montée. Nous ahanons de concert. À la fontaine du village où nous faisons un arrêt salvateur, mon camarade de montée m’explique qu’il a quitté Paris pour s’installer dans la région. À voir son sourire, je devine qu’il a trouvé son bonheur. « Nous en avions assez de Paris. Nous voulions aussi retrouver le calme et pouvoir reprendre contact avec la campagne », me confie-t-il. « Pour les enfants, c’est important ». Romain me parle de la difficulté des enseignants à mener des expériences en pleine nature : « Un peu de boue les rebute et ils n’osent plus sortir avec les enfants ». Je songe à Louis Espinassous dans les Pyrénées audoises qui prône depuis des décennies l’apprentissage par la Nature et continue, malgré les nombreux freins, à amener les jeunes au cœur des forêts.
[…]
Après Gigors, les cols se suivent et m’entraînent progressivement sur les hauts plateaux.
Les vues sont des plus saisissantes . Verticalités et horizontalités se conjuguent. Je me rends compte que réduire le Vercors à un plateau est une grossière erreur : tout ici n’est que crêtes, à-pics, falaises, gouffres, défilés,…

Avec des arbres bien ancrés sur ce sol calcaire. Un sol qui laisse percoler l’eau qui s’échappe en autant de cascades, de ruissellements, de rivières, de ravines. Le sapin argenté fait son apparition. Cônes dressés sur les rameaux. Le Hêtre n’est pas loin. Le Fayard a l’allure de son cousin de la forêt de Soignes et souffre tout autant que lui (sur certains versants exposés au soleil) de l’assèchement, des vents secs et du stress hydrique.
[…]

Ce soir, je suis une fois de plus verni : en quittant Vassieux et avant d’arriver à La Chapelle-en-Vercors, je me suis trouvé un bel endroit. Vue imprenable sur le massif du Veymont. Adossé à un hêtre en pleine jeunesse, j’ai devant moi un paysage dégagé qui chemine entre le végétal et le minéral. Les herbes folles jaillissent en petites touffes éparses, des graminées ont cuit sous le soleil. Plus loin, sur la ligne d’horizon, le massif du Veymont s’étend du nord au sud à perte de vue.

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Vue sur la chaîne des Monts de Veymont – Vercors

Un renard est sorti d’un roncier sur ma gauche. Comme j’avais le vent dans le nez, il ne m’a pas du tout repéré. Il mulote puis s’arrête. Re-mulote. Avançant par petits bonds de ballerine. À vingt mètres, il se retourne enfin et semble un instant s’interroger sur ma présence silencieuse. Cependant il ne tarde pas : il me fait rapidement dos et file tout droit.

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Renard, l’invité du soir

Dans le ciel du Vercors, la Lune est presque pleine .

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Sapin argenté et Hêtre

6 août 2017

C’est dimanche : j’ai des fourmis dans les jambes !

Je quitte mon bel endroit pour descendre sur La Chapelle-en-Vercors. En fait, la route s’élève jusqu’au col puis redescend sagement vers la Chapelle.

Sur la place, les randonneurs sont de sorties et on fait salle comble à l’office du Tourisme. La guichetière panique un peu dans un anglais qui ferait rire une vache espagnole.

Je profite de l’ouverture de la boulangerie pour faire le plein.

Descente vers Pont-à-Royans. Là aussi ça se bouscule et la rue principale n’est pas assez large pour les grosses 4×4. Une dame manque d’emboutir un Hollandais qui s’était arrêté pour céder le passage à une voiture en contre-sens. La dame fulmine, vitre abaissée : « Mais allez-y donc ! Ceux qui montent on la priorité ! ». Je ne sais si le Hollandais a compris quelque chose…

Après Pont-à-Royans et son village de carte postale, route vers Villars.

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Pont-à-Royans

Succession de défilés, de routes sinueuses et grimpantes. Virages étroits. Côté gauche, on frôle la falaise ; côté droit, c’est le ravin. Des routes qui rappellent les routes Corse. Ici, les 4×4 y vont molo… s’agirait pas d’érafler la carrosserie.

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Gorges

Villars. La température monte de quelques degrés : concentration humaine oblige. La circulation se densifie.

Une dame à l’épicerie me dit que c’est toujours comme ça le dimanche quand il fait chaud. « Grenoble c’est une cuvette, ils montent tous ici prendre le frais. »

Dans la descente vers Grenoble, aux voitures s’ajoutent les motos qui se coursent par chapelets. L’art de la vitesse et de la pétarade à gogo, très peu pour moi. Les sapins argentés s’en fichent : Ils ont pris de la hauteur sur tout ça.

17H. Dans la longue descente qui fait des lacets, mes patins de freins chauffent. Dans les tournants, Vue impressionnante sur la cité grenobloise qui a poussé là entre Vercors et Chartreuse.

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Grenoble

Tout en bas, je franchis l’Isère, fleuve majestueux au débit rapide et aux eaux vert-grisé. Voie verte sur la digue : mon campement pour la nuit.

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Voie verte le long de l’Isère

7 août 2017

Traversée d’une partie du parc de la Chartreuse qui est la petite soeur du Vercors.

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Massif de la Chartreuse

Je retrouve le Rhône à Lucieux. Ses rives verdoyantes m’enchantent comme la Nature tout autour.

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Le Rhône

Les températures ont quelque peu baissées et c’est tant mieux.

Lac d’Aiguebelette, les touristes se pressent au bord d’une eau turquoise digne de la mer Égée au large de Santorin.

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Lac d’Aiguebelette

Menthe sauvage et Solidago dans les prés et sur le bord des routes.

Avant Seyssel, je trouve un coin en bord de Rhône pour camper.

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Rucher en bord du Rhône

8 août 2017

Des orages ont éclaté vers les 5H du matin. L’air s’est subitement chargé en électricité. Ca a claqué tout autour de la tente jusque dans l’après-midi avec de fortes précipitations.

Après dix heures d’averses, j’ai dû déplacer la tente car le sol était devenu une véritable mare. Des limaces en ont profité pour escalader la toile.

Vers la fin de l’après-midi, il y a eu une éclaircie et j’en ai profité pour faire route vers Seyssel.

Je n’ai pas fait plus de 20km aujourd’hui. 20km sous la pluie. Rinçage et essorage compris.


9 août 2017

La nébulosité a gagné les sommets de la Montagne du Grand Colombier que le soleil a du mal à percer.

Je quitte Seyssel vers les 7H et je prends la direction du Barrage de Génissiat, un des premiers barrages hydrauliques de France construit après la Seconde Guerre Mondiale. Le malheureux village de Génissiat est quadrillé par les lignes à très hautes tensions et je me demande quel est l’état de santé des gens qui y habitent.

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Village de Génissiat

Je laisse Bellegarde-sur-Valserine sur ma droite et arrive à Châtillon-en-Michaille, porte d’entrée du Jura.

Un Jura qui a des allures de petite Suisse avec ses beaux résineux taillés en pointe pour la plus grande satisfaction des touristes.

Côté habitat, l’ancienne bâtisse jurassienne n’a plus la cote : trop vaste, trop énergivore. On a tendance à la délaisser voire à l’enlaidir en y ajoutant sur les murs autrefois chaulés des plaques de tôles ondulées moins coûteuses. Un grand nombre de propriétaires optent pour le chalet, plus abordable et quelque peu inspirés par la Savoie et la Suisse proches.

Sur les hauteurs des Monts du Jura, les pistes de ski font leur apparition. On développe, à grands frais et à grand renfort de publicités, des infrastructures d’accueil pour les sports de glisse. Le Jura et une bonne partie de la Franche-Comté ont fait le choix du tourisme « vert et blanc », comme on dit ici.

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Jura

Les Rousses et Morez, une nationale (que je suis bien obligé d’emprunter) défigure tout. Enfer et bruits de moteurs : on me fait bien sentir que je n’ai pas ma place dans le trafic.

Montée vers Bellefontaine. Un sentier sur ma droite me montre le chemin de ma halte pour la nuit. La piste mène tout droit au fond d’une gorge qui accueille un joli petit ruisseau d’eau claire, l’Évalude.

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l’Évalude – Jura

près de ma tente, j’assiste à un bel épisode de botanique chevaleresque entre une abeille solitaire et une cardère dans les derniers feux du jour. Paroles de la Cardère à l’abeille : « Si tu ne viens pas à la cardère, la cardère ira à toi ». Message reçu cinq sur cinq par l’abeille.

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Cardère et abeille solitaire

10 août 2017

Lever dans le roulement sourd de l’Évalude qui s’écoule en contre-bas du bivouac. Il a plu une partie de la nuit et en tout début de matinée. Au réveil, l’humidité est prenante au fond de cette gorge où je me suis installé. Il me faut une bonne dose de courage pour sortir de mon sac de couchage et reprendre la route. J’enfile des couches pour ne pas prendre froid dans les premiers kilomètres.

Route vers Chapelle-des-Bois, petit village niché au creux d’une dépression entre le Mont Noir et le Mont Risoux au coeur du Haut-Jura.

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Phénomène d’érosion sur sol calcaire

Un panneau indicateur signale mon entrée dans le département du Doubs. Je souris car les températures, elles, sont carrément fraîches et on frôle les 10 degrés. Un froid qui, en roulant, me crispe les extrémités des doigts et me raidit le bas du dos. Une seule solution : pédaler pour réchauffer tout ça.

À l’épicerie où je me suis arrêté pour acheter du pain et du jambon pour midi, sept personnes font la file pour payer. On cause météo et la caissière prend tout son temps. Parfait pour moi : cela me permet de rester un peu plus longtemps pour réchauffer mes doigts engourdis. La caissière qui fait aussi office de bouchère me coupe trois tranches de jambons de montagne aussi épaisses que ma main.

Au carrefour, j’opte pour une route à travers la forêt du Mont Noir vers Foncine-le-Bas. Un skieur de fond qui s’entraîne sur la route me confirme que je suis sur la bonne voie. Mais la route caillouteuse fait danser le vélo un peu trop à mon goût. Je crains pour les pneumatiques et la suspension. Au fur et à mesure de mon avancée, les choses se compliquent : les indications disparaissent aux croisements et la pente se raidit. Sur ma carte, le tracé fait plus d’une dizaine de kilomètres. Au jugé, je vais prendre trois heures au rythme qui est le mien pour franchir la distance. Raisonnablement, j’opte pour revenir sur mes pas et prendre la départementale vers Chaux-Neuve puis Mouthe.

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Village jurassien – Église au clocher franc-comtois

Sur la route de la Combe des Cives, je visite la Maison Michaud. Une bâtisse qui se veut l’exemple type de la maison jurassienne du XIXe siècle. L’habitation est un véritable vaisseau pensé pour traverser les hivers. D’une superficie au sol considérable, elle permettait de rassembler, sous le même toit, les bêtes et les hommes. Tout y est pensé pour l’autosubsistance et rien n’est fait par hasard. La maison et les terres s’y rapportant permettaient aux êtres qui y vivaient de pouvoir traverser les saisons en développant culture, élevage et toutes sortes de petits artisanats qui trouvaient sens lors des hivers lorsque les terres étaient inaccessibles et le bétail cloîtré à l’intérieur.

[…]

Dopé par mon sandwich aux grosses tranches de jambon et au Comté, je grimpe le col du Lancier (1075 m) à une moyenne de 16Km/h, un record pour ma mule à pédales. La forme est bonne et les vents sont favorables.

Boujailles, Levier, Septfontaines ; route vers Ouhans.

Pays de Courbet et des artistes, lit-on sur un panneau.

Le paysage change : la route emprunte les gorges pour suivre la Loue de sa source jusqu’à la plaine.

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Vallée de la Loue

Arrêt à Ornans. Il est 18H passée. 120 kilomètres au compteur pour cette journée.

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La Loue à Lods

11 août 2017

Route de Ornans à Baume-les-Dames.

Match du jour : pluie contre cyclo. 1 partout. À l’entame de la rencontre, les précipitations ont bien monopolisé le terrain mettant le cyclo a mal. Après une grosse demi-heure de jeu, le cyclo a repris sa position et a maintenu sa trajectoire malgré le travail de sape des averses. Après la mi-temps, la pluie a changé de tactique déstabilisant un chouia l’adversaire. Alternant petites pluies fines et gros coups de rafales, le cyclo a dû puiser dans ses réserves pour tenir bon jusqu’aux prolongations. Au final, les averses se sont faites plus rares laissant ainsi le plein espace aux éclaircies qui ont illuminé le ciel de Franche-Comté.

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Tilleul s’adonnant au piercing

[…]

À Baume, je remonte le Doubs jusque Montbéliard. Une belle voie verte longe malicieusement la rive gauche du fleuve. Le cours d’eau se pare pour l’automne. Octobre sonne déjà aux berges : les marronniers des rives brunissent et se délestent de leurs feuilles roussies de soleil. Des chevrettes gambadent en bord d’eau. Les ronciers se chargent de mûres, gourmandises juteuses et sucrées pour le voyageur. Aux écluses, c’est l’abondance des pommiers, pruniers et autres arbres chargés de fruits. La Montbéliarde n’est pas loin qui pâture, les yeux plissés de contentement, corps couché aux herbes, à la fraîche. La canicule est loin. La chaleur écrasante de juillet a fait place à des températures plus douces. « Adieu vives clartés de nos étés trop courts », me chuchote Baudelaire.

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Le Doubs après Baume-les-Dames

Qu’il est bon de remonter un fleuve loin du bruit des moteurs. Je rêve d’une route silencieuse et bucolique , bordée de verdure, qui traverserait la France du nord au sud, tout doucement. Je rêve d’une voie étroite où il serait bon de se croiser, de se dire le bonjour et de cheminer ensemble. Une route pas très droite, toute sinueuse, donnant sur de doux lits de rivières.

Passé Baume, le Doubs a des allures de Meuse après Givet. Collines cernant ses bords, nénuphars ponctuant sa surface, poules d’eau en maraude. Le fleuve est presque stagnant. Il prend tout son temps comme l’accent d’ici.

Interlude floristique :

« Paroles du Houx au Noisetier à l’approche de l’hiver : le naturisme, très peu pour moi! »

[…]

Horreur et damnation : quatre jeunes cyclos sacoches aux vélos s’en viennent en contre-sens avec une musique tonitruante diffusée par un haut-parleur installé sur un porte-bagage avant. Le silence est rompu par la techno qui a fait fuir d’un coup tous les palmipèdes  du Doubs sur un rayon de 2 kilomètres. Pour l’observation ornitho, je repasserai.

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Un Doubs aux allures automnales

[…]

À l’Isle-sur-le-Doubs où je prends un café et un éclair au moka pour me remonter le moral, je fais la connaissance de Florence. Cyclote allemande, elle remonte aussi le Doubs pour regagner son petit coin de Rhin entre Colmar et Freiburg. Elle me parle de ses craintes de voyager seule et je tente de la rassurer. « Je me refuse à trop y penser », me confie-t-elle. Il est vrai que sur la route, une femme s’expose plus qu’un homme. Des peurs peuvent survenir… et puis on entend toutes sortes de choses. Je me souviens avoir rencontré quelques femmes qui voyageaient seules et leur expérience était toujours positive…

[…]

Reprise de la route vers 19H. 30 minutes à peine me suffisent pour trouver mon coin pour la nuit. Au bord du canal, un bel endroit aménagé avec tables et bancs. Le train passe dans mon dos et des carpes font des sauts dans l’eau.

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Peloton de Gendarmes (Héminoptères) en formation
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Adjudant-chef Gendarme surveillant les opérations

12 août 2017

Coulée verte jusqu’à Montbéliard puis cap au nord via Belfort.

Montbéliard est un piège pour les cyclos. Infrastructure en voie d’aménagement et signalisation absente. Je râle (un peu, beaucoup,…). Passé le centre et sa banlieue, on me guide enfin vers Belfort et là, changement de ton.

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Le Lion, emblème de la ville de Belfort

La ville a vraiment tablé sur la fluidité pour les deux roues. Un plaisir. Je longe le canal puis prend l’axe du centre-urbain. Un centre qui vaut le détour et qui mérite qu’on s’y arrête le temps d’une journée.

Du centre, je gagne les étangs de Malsaucy et accessoirement une belle voie d’accès aux Vosges.

À Rougegoutte, près de Giromagny, un vieux tilleul a traversé les âges.


13 août 2017

C’est dimanche et l’Intermarché local est ouvert. La caissière (qui fait aussi du vélo) me raconte ses aventures vélocipédiques . « Nous, avec mon mari et les deux petits, on adore! ». Sentant nos intérêts communs je lui propose de diffuser l’info à chacun de ses clients.

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Aujourd’hui, c’est le grand jour : je m’offre un ballon ! Et pas n’importe lequel, le ballon d’Alsace avec ses mille mètres d’altitude. Pas de chance pour moi, au pied du col, une grande affiche annonce que le sommet est fermé pour cause de … courses automobiles ! Je n’en reviens pas. Tentant le tout pour le tout, je fais quand même l’ascension en espérant pouvoir passer et descendre sur Saint-Maurice.

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Magnifique Hêtre marial sur la route de Riervescemont

Dans la montée, réglée sur du 6%, des chutes d’eau s’en viennent lécher les rocailles. Les Vosgiens appellent cela des « gouttes ». « Goutte des Lys », lit-on ici. « Goutte Boileau », un peu plus loin… « Goutte Boileau » ? Comment peut-il en être autrement ?

Au col, c’est l’enfer bleu des Vosges. Ça pétarade et vrombit dans tous les sens a en devenir sourd. Les monstres motorisés sont contenus par des barrières Nadar et des cordons de sécurité. Le public nombreux. Je demande à passer. Un signaleur bedonnant me brise tout espérance : « On ne passe pas ! ». Il me propose d’emprunter un sentier pour redescendre de l’autre côté du versant. Je lui demande si je peux le faire avec le vélo et il me répond en toute franchise : « J’sais pas, j’ l’ai jamais emprunté ». À l’Office du Tourisme, on me propose d’aller parlementer directement avec le Directeur de Course. Ce que je fais illico. Après palabres et claques dans le dos, j’obtiens un sauf-conduit : « Descendez quand toutes les voitures seront en bas ».  Au top départ, me voilà seul descendant le col du Ballon d’Alsace. Route libérée de tout engin moteur. Inédit. Je savoure mon plaisir. La Grâce à l’état pur et le silence enfin revenu. Pour un peu, je me croirais en tête dans une descente de col du tour de France, les véhicules suiveurs en moins. En plus, j’ai la chance d’avoir des spectateurs rien que pour moi : sur les bas-côtés, les fans d’engins sont bons joueurs et m’applaudissent et m’encouragent dans les tournants.

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Vue au sommet du Ballon d’Alsace

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Après Saint-Maurice, montée vers la Bresse puis Gérardmer. À Gérardmer, je fais arrêt au Bar des Vosges et discute le coup avec la tenancière tout étonnée de me voir encore vivant avec un vélo aussi chargé.

Sur la route, en longeant la Vologne, j’admire d’impressionnants éboulis de roches. Résultat d’une saute d’humeur d’un ancien glacier. Les versants  sont tapissés d’épicéas , de sapins, d’érables, de chênes et de hêtres aussi.

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Éboulis du Kertoff

Sur les bas-côtés, la Mélampyre des bois pointe ses fleurs jaunes. Les résineux et les Myrtilles ne sont pas loin. En symbiose avec les fourmis qui savourent les graines de Mélampyre et n’hésitent pas à en rapporter au cœur de leur fourmilière.

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Grès vosgien

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14 août 2017

Ce matin, ça bosselle jusqu’à la Moselle. Tel un Sisyphe heureux, je monte et descend mes kilomètres de routes.

À la Boulangerie de Thaon, on fait la file jusque sur le trottoir. Je déjeune dans le parc en encourageant un tout jeune cèdre du Liban à devenir beau et fort dans 250 ans.

Voie verte le long du Canal de l’Est  jusqu’à Charmes. Les abords foisonnent de belles fleurs sauvages : guimauve, phacélie, prêle, molène noire, …

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La Moselle

[…]


15 août 2017

Quand j’ai vu la voiture à moitié garée sur le trottoir, les feux de détresse en action et madame côté passager rendant à la belle nature son repas du jour, j’ai bien eu confirmation que nous étions le 15 août et que cela allait sentir le petit vin d’Alsace sur les routes de France.

D’habitude, les jours de festivités, je ne roule pas. J’applique le Principe Prudence et j’ai tendance à m’y tenir. Seulement voilà, qui dit « jour de fête » dit aussi relâche pour les camions et ça, lorsqu’on traverse une région comme la Lorraine à vélo, c’est une bonne occasion à ne pas manquer.

La Lorraine et son parc naturel. Rares sont ceux qui connaissent la région et c’est bien regrettable. La tendance générale ici, pour le touriste, est au transit. En Lorraine, on ne fait que passer et on ne s’attarde pas. Hollandais, Belges, Gars du Nord,… tous de passage et la Lorraine déprime un peu. On la comprend. Surtout que côté déprime, elle a eu son comptant dans les années 70 et 80 lors des grandes fermetures des mines et usines du Nord. Les traces se remarquent encore ici et là.

Cependant, elle a su préserver jalousement son côté nature avec ses remarquables vergers abondant en Mirabelliers, pommiers, poiriers et autres noyers. Indiscutablement, en cette mi-août, ce sont les Mirabelles qui ont la côte. Depuis que j’ai démarré ce matin, je ne compte plus les petits vendeurs en bord de route proposant son kilo de Mirabelles au prix de 2 euros. Je ne manque pas à l’appel et m’offre de ces succulentes petites prunes juteuses et sucrées à souhait.  Un régal pour les papilles et un vrai plaisir pour la bouche.

Oui, le parc de Lorraine doit certainement son existence à ses vergers qui profitent sur ses coteaux entre Toul et Verdun. […]

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Les vergers lorrains

Verdun. Un nom qui vous dit déjà tout. En dessinant mon itinéraire de retour, et en songeant aux arbres comme compagnons de voyage, j’avais eu une pensée pour toutes les forêts martyrisées et j’avais tenu à passer par ici.  En 1914, quand la Grande Guerre commença et que les hommes creusèrent cette longue saignée à travers la France du Nord avec Verdun comme noeud central, les forêts de la région occupaient une place non négligeable. En quatre ans de guerre, il ne resta plus un seul arbre sur pied sur des centaines de kilomètres. Les arbres tombèrent comme les hommes laissant place à une des plus grandes tragédies de l’Histoire.

La Terre a tout gardé en mémoire. Quand on traverse la grande forêt de Verdun. Car ici, les arbres ont été replantés. Il ne pouvait en être autrement ; les terres étaient devenues incultivables, gorgées qu’elles étaient (et qu’elles sont encore) par la mitraille, le sang et les bombes. Vaille que vaille, les arbres ont caché les blessures mais ne les ont pas fait disparaître. Si vous avez le regard attentif, on peut encore déceler, ça et là, les traces de ce passé peu glorieux des Hommes.

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Ancien poste de gardes

Tranchée de Calonne de Hattonchâtel à Haudiomont.  Comme une échine d’homme courbée au sommet d’une montagne. C’est tout bosselé comme le creux entre chaque vertèbre. Je ne sais si c’était le temps (un peu frisquet et pluvieux) ou l’humeur du moment mais en longeant cette crête boisée, il y avait comme un grand silence dans le peuple des arbres.  Sur la droite, un panneau m’emmena sur le lieu où fut retrouvé en 1991, le corps de l’écrivain du Grand Meaulnes, Alain-Fournier ainsi qu’une vingtaine de jeunes hommes de son régiment. Fauchés un jour de septembre 1914.

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Tranchée de Calonne – proximité de Verdun
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Extrait du Grand Meaulnes – « Et de la grande salle obscurcie par les larges fenêtres, nous regardions silencieusement dans le ciel gris la déroute des nuages » Alain-Fournier

[…]

Le soir, au bivouac, les Mirabelles n’avaient plus le même goût.


16 août 2017

Mon vélo a tenu bon jusqu’au 15 août et ce matin patatras : un rayon de la roue arrière a sauté. Un rayon, c’est pas grand chose en somme. La roue peut encore tenir une belle paire de kilomètres… mais une roue arrière de cyclo-voyageur chargée de tout un paquetage, ça c’est autre chose !

Je n’ai guère le choix : je dois rouler jusqu’au premier réparateur venu. Route vers Charleville (60 kilomètres) en évitant dos d’âne, nids de poules, crevasses et routes encaissées.

À Charleville, près de la gare, l’unique réparateur de la ville est « surchargé de travail ». « C’est la pleine saison, j’ai des commandes en retard à honorer et je peux pas vous prendre comme ça », me dit-il. Le bonhomme regarde à peine le vélo et je vois bien que la manipulation le dérange. « De toute façon, quand un rayon saute, d’autres suivent après », me lance-t-il. La belle affaire ! « Et vous ne pouvez vraiment pas faire quelque chose? » « Non, désolé ». J’insiste pour avoir l’adresse d’un autre réparateur. « Allez sur Revin, y a quelqu’un là-bas qui pourra réparer votre rayon ».

Revin, c’est sur ma route mais c’est à près de cinquante bornes. Je croise les doigts pour que la roue tienne jusque-là.

Charleville est vite passée. Adieu Rimbaud et la Place ducale. Retour en bord de Meuse et moulinage sur la voie verte avec prières répétées à Saint-Antoine .

[…]


17 août 2017

Ai dormi le long du chemin de halage entre Joigny et Bogny-sur-Meuse. Réveil à 7H du matin. Vue embrumée sur les Rochers des Grands Ducs. Je « petit-déjeune » de fruits secs. Avant de partir, brossage de dents face à ma mule à pédales qui réclame son rayon.

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Meuse à Bogny au petit matin

Revin, 10H pétantes. Le patron de Cycles Cordier ouvre sa devanture et me voit arriver. « Qu’est-ce que j’peux faire pour toi », me dit-il. D’un coup, d’un seul, je sais que j’ai trouvé mon réparateur. Une heure plus tard, le vélo était retapé. D’une main de maître avec entrain et bonne humeur, le vélociste avait trouvé le bon rayon (pas évident) et avait remis dans l’axe ma roue qui commençait à vaciller. « Tiens, j’te refile deux rayons, comme ça, si d’autres sautent t’auras au moins la matière première pour réparer »… « ou sinon, tu t’en sers de baguettes quand t’iras manger chinois! ».

Si un jour vous tombez en rade avec votre vélo et que vous êtes du côté de Revin, vous savez où aller le faire réparer.

Reprise de la voie verte le long de la Meuse. Je descends avec le fleuve jusqu’à Givet. Pour ceux qui ne connaissent pas, je conseille la sortie, ça vaut le coup. Partez de Charleville, de Givet voire de Dinant ou de Namur, pour les plus audacieux. Les gîtes ne manquent pas et les arrêts nature, non plus.

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Présence du castor en bord de Meuse française

15H : arrivée à Dinant. Petit café et lecture dans le centre-ville. Le va-et-vient des voitures me fait fuir et ma tasse à peine terminée, je reprends le fil de l’eau.

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Dinant

Rochers, méandres, escarpements, falaises, à-pics… la Meuse namuroise a tout d’une grande. Sur le RAVEL, les cyclos vont et viennent. Les Ouettes du Nil et les Bernaches se plaisent sous nos latitudes.

18H : Namur et sa citadelle. Arrêt à l’Auberge de Jeunesse où j’ai réservé une chambre.


18 août 2017 

Namur – Court-Saint-Etienne : dernière étape de long périple à travers les belles forêts de France. Un voyage au coeur des arbres et des Hommes de plus de 2500 km.

À Namur, j’opte pour une remontée vers le Brabant wallon via le chemin des écoliers. De Saint-Servais, j’emprunte le Ravel vers Landen via Eghezée. C’est l’ancienne ligne 142. Une voie verte qui s’élève avec régularité jusqu’au plateau namurois. Une charmante coulée entre rocaille (sur les versants nord de la Sambre) et les champs (sur le plateau). Par chance, j’ai le vent dans le dos et les bourrasques soutiennent mes coups de pédales.

Ramillies, Eghezée, les villages défilent. À l’approche du village de Gérompont, je tourne à gauche et m’élance sur le Ravel vers Gembloux. La montée progressive sur le bas-plateau brabançon se poursuit.  Comme un ultime salut au voyageur, la pluie refait son apparition et arrose le cyclo pas du tout décontenancé.

Ardenelle au loin et en point de mire sur la ligne d’horizon : le radar de l’Arbre de la Justice. Derniers kilomètres dans la joie et l’allégresse.

Sart, 17H. Les hirondelles du village accueillent le cyclo après 46 jours de voyage. Le temps est venu de poser le vélo.

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Autoportrait de l’auteur de ce reportage sur fond mosan et par temps de pluie

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