
Article de Michel Demeester publié dans le journal l’Avenir du 5/10/22
Qu’elle était verte ma vallée
Texte lu lors du passage sur le sentier 51 à l’occasion de la balade automnale du Patrimoine stéphanois du 9 octobre 2022.
La Via Gallia Belgica est une des voies secondaires des pèlerins de saint-Jacques. Prenant naissance à Maastricht, elle traverse les terres hesbignonnes et brabançonnes. Chez nous, la Via Gallia connait ses premiers vallonnements et ses premiers chemins creux. Après avoir franchi la Thyle à Suzeril, elle passe par ici, sur ce sentier, avant de poursuivre vers Bousval, Genappe, Nivelles s’arrêtant un temps devant le parvis de la collégiale Sainte-Gertrude avant de reprendre sa route vers la France.
Cette voie était une voie empruntée en grande partie par les pèlerins hollandais et allemands du Moyen Âge. En témoigne encore, les écrits conservés du moine allemand, Albert de State, au XIIIe siècle.
À l’origine, ces grandes voies conduisaient les pèlerins des confins de l’Europe au tombeau de saint-Jacques en Galice. Ces axes ont d’abord été des liens de communication privilégiés pour quantité d’hommes et de femmes permettant de relier entre eux, villages et cités. Des chemins qui formaient de vastes réseaux essentiels aux hommes, tissant un maillage puissant. Cernés le plus souvent par des haies vives foisonnantes se juxtaposant souvent à d’autres voies, plus anciennes encore, comme celles empruntées par les Celtes dont les traces ont marqué l’histoire de notre commune avec ces tumulus retrouvés sur le plateau de la Quenique ou aux Tombelles.
De tous temps, ces chemins ont été « bousculés » par le fait des hommes et de leurs œuvres. En 1855, la construction de la ligne de chemin de fer Louvain – Charleroi va provoquer une véritable saignée dans la vallée, coupant les chemins ou les contraignant à dériver. À dire le vrai, le chemin historique de saint-Jacques, le fameux “chemin de Nivelles”, passait à plusieurs centaines de mètres plus au sud de l’endroit où nous nous trouvons. Le sentier 51, celui que nous empruntons ici n’est qu’un “diverticule”, un chemin de dérivation. C’est l’usage et le temps qui lui ont fait gagner ses lettres de noblesse.
Sur ces chemins, des haies ont vu le jour. Leur présence faisait sens. Utiles pour contenir le bétail qu’on menait en pâture mais aussi pour soutenir les sols, maintenir les terres, limiter les coulées de boue quand la pente se faisait rude, procurer ombrage aux bêtes et aux hommes, redynamiser les sols, se protéger des vents et des intempéries, offrir le gîte et le couvert à quantité d’espèces faunistiques et floristiques.
Le sentier 51 comptait 370 m de haies. Le 12 septembre dernier quelques mégamachines ont eu tôt fait de mettre à bas ce formidable ensemble arbustif dont il ne reste aujourd’hui plus rien. Abattre dans la seule intention de construire une route d’accès en vue de l’implantation d’un lotissement.
Cela au mépris d’une opposition citoyenne, au mépris des fragiles équilibres biodynamiques, au mépris de la vie.
Des associations locales comme le Patrimoine stéphanois ont œuvré dès le début afin d’éviter cela. En vain.
Les rapport du GIEC ont depuis longtemps tiré les conclusions de nos folies en matière de développement urbanistique : la bétonisation et l’étalement urbain augmentent considérablement les émissions de gaz à effet de serre mettant les générations à venir en danger. Face à cette réalité terrible, des solutions existent comme le maintien d’un couvert arboré qui garantirait la captation du CO2 de manière efficace, durable et gratuite. La préservation de la haie du sentier 51 aurait pu être cette solution ; elle vient d’être rasée sur pied.
Les arbres sont comme les grands hommes ; c’est leur disparition qui nous font prendre conscience de l’importance qu’ils ont, de la place qu’ils occupent et du rôle indispensable qu’ils jouent.
À l’avenir, il faudra être vigilants, individuellement mais aussi collectivement, pour préserver nos chemins arborés et nos espaces publics verdurisés afin qu’ils ne disparaissent pas du jour au lendemain sous le coup d’un entrepreneur ou d’un propriétaire peu scrupuleux et ignorant. Ces espaces verts sont notre bien commun indispensable, la part vivante de notre paysage qui nous procurent, au-delà de leurs multiples bienfaits écologiques, joies, bien-être et apaisement pour affronter sereinement le présent siècle.
Fabrice Maillez